Elle a treize ans, vécu et les mots crus pour le dire

«Et au pire, on se mariera», par Sophie Bienvenu.

Attention roman coup de poing, dans la gueule, dans les reins : pédophilie, inceste, amours interdites.  Récit pris à bras-le-corps par Aïcha la narratrice, une adolescente de treize ans. Il y a eu meurtre. Elle se confie, mêlant mensonges, fantasmes et vie bien bue, à une interlocutrice non identifiée : psychologue, travailleuse sociale, policier? On s’en fout. Récit d’un attachement déliquescent à son père. Son père, les dessins animés, «ça le faisait chier» Elle prend plaisir, lové contre le paternel,  à  visionner Scarface. Elle en connaît parfaitement les répliques, à neuf ans  :  «You wanna fuck with me? Okay. You wanna play rough? Okay. Say hello to my little friend».

Regard tendu aussi sur ses relations avec Baz (en taule), son coup de foudre, son sauveur, un garçon début trentaine… Ses meilleures amies, son école de la vie ? : des prostistué(e)s bien futé(e)s du Centre-sud. De l’amour, du sang, des pouces intrusifs, des cauchemars, une mère aimante détestée qui lui a «volé» son père.

Le roman à son meilleur, dans le doute, l’interrogation et l’exploration. Impossible de conclure, lâché dans le domaine de l’ambiguïté.

Un zeugme pour dire le tout : elle a treize ans, vécu et les mots crus pour le dire.

Un corps blessé.

À visiter aussi pour la truculence des propos tenus par Aïcha qui n’est pas sans rappeler Trudel, Ducharme et Ajar. En voici des extraits :

Croquant :

Je fais ce rêve, souvent. Un cauchemar, en fait. J’ai des globes oculaires sur la langue et je peux pas parler. J’en ai plein la gueule, pas moyen de les enlever. J’essaie de crier, mais ça marche pas, je peux pas non plus fermer la bouche, fait que j’essaie de les avaler, mais y en a trop , je les croque, mais c’est vraiment dégueulasse, ça squishe pis ça jute, ça me fait vomir, et je finis par m’étouffer dans mon vomi d’oeils. p. 32

Interculturel :

Je me suis senti super coupable de l’avoir traité de vieux Juif dans ma tête, même si c’est pas vraiment une insulte. Alors je lui ai demandé de me raconter l’histoire de comment il a gagné le dépanneur aux cartes dans les années je ne sais plus combien, parce qu’il aime ça la raconter. Elle change un peu chaque fois, donc c’est pas comme s’il radotait.

Empêtré :

OK, je faisais ça à cause de lui, pour le faire chier et aussi pour lui montrer que j’étais une adulte. Mais j’aurais pas aimé ça, le rencontrer avec un autre pénis que le sien dans la bouche. J’ai pleuré pour vrai, je pense

Tendre :

C’est cool faire l’amour avec quelqu’un qui sait comment tu t’appelles.

Je l’ai regardé longtemps et l’ai trouvé beau. De partout. Même complètement tout nu, je l’ai trouvé beau.

Les deux suivantes,  je vous les numérise…

Solidaire :

Religieux :

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
Ce contenu a été publié dans Littérature, Recommandation de lecture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *