Les oiseaux tombent du ciel

Pluie de grenouilles

[À l’instar de L’Oreille tendue (voir ses Accouplements), j’aime bien la rencontre fortuite de textes littéraires d’horizons différents.]

Des extraits tirés de deux romans parus en 2011. Deux romans rappelant le châtiment divin narré dans Les dix plaies d’Égypte  :   » les grenouilles tombèrent et recouvrirent l’Égypte » (Exode 7,25-8,11)

Dans l’un – Il pleuvait des oiseaux – l’action se situe en Ontario à Mathison, dans l’autre – Le Cas Sneijder – l’auteur relate un événement ayant eu lieu au cœur de l’Arkansas.

Les oiseaux tombent du ciel, en synchro. Une vraie plaie :

On y voyait des hommes vêtus de combinaison blanches, portant des gants de protection, et le visage recouvert d’un masque à gaz, ramasser d’innombrables oiseaux morts dans les rues et sur les toits des maisons d’un petit village.

[…]

Dans la rue principale du village, les gens se regardaient, allaient puis revenaient, poussaient une bête du bout du pied, levaient de temps à autre la tête vers les nuages, comme s’ils espéraient une explication miraculeuse face à tous ses morts qui tombaient du ciel et remontaient du ventre des rivières

Jean-Paul Dubois, Le Cas Sneijder

Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit. Quand le vent s’est levé et qu’il a couvert le ciel d’un dôme de fumée noire, l’air s’est raréfié, c’était irrespirable de chaleur et de fumée, autant pour nous que pour les oiseaux et ils tombaient en pluie à nos pieds.

Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux

[Mise à jour : 25 septembre 2018]

Le 23 mai 1995  j’ai vu, entre Verchères et Contrecœur, des nuées d’oiseaux affolés plonger verticalement dans un boisé, comme des sternes ou des fous de Bassan.

On aurait dit un signe avant-coureur, une annonce de désastre

René Lapierre, Les adieux.

[Mise à jour : 19 juillet 2020]

De temps à autre, de gros choucas fuyant les cimes, saisis par le froid en plein vol, s’abattaient sur les toits comme des météorites. L’un d’eux tomba et rebondit sur les tôles du café Ham.

Maurice Pons,  Les saisons

[Mise à jour : 9 décembre 2022]

Va-t’en pas
Dehors j’ai vu un ciel si dur
Que tombaient les oiseaux

Richard Desjardins, Va t’en pas.

[Mise à jour : 14 décembre 2022] – Merci à Nicolas Guay (Le machin à écrire) pour l’extrait suivant tiré de Infinite Jest :

The day before they left — so like five days ago — Orin was out by himself in the Jacuzzi by the pool late in the day, caring for the leg, sitting in the radiant heat and bloody late-day light with the leg in the Jacuzzi, absently squeezing the tennis ball he still absently squeezes out of habit. Watching the Jacuzzi funnel and bubble and foam around the leg. And out of nowhere a bird had all of a sudden fallen into the Jacuzzi. With a flat matter-of-fact plop. Out of nowhere. Out of the wide empty sky. Nothing overhung the Jacuzzi but sky. The bird seemed to have just had a coronary or something in flight and died and fallen out of the empty sky and landed dead in the Jacuzzi, right by the leg. He brought his sunglasses down onto the bridge of his nose with a finger and looked at it. It was an undistinguished kind of bird.

David Foster Wallace, Infinite Jest

Il sortit sur la terrasse et reprit possession de sa solitude : les dunes, l’Océan, des milliers d’oiseaux morts dans le sable, un canot, la rouille d’un filet, avec parfois quelques signes  nouveaux : la carcasse d’une baleine échouée, des traces de pas, un chapelet de barques de pêche au lointain, là où les îles de guano luttaient de blancheur avec le ciel. Le café se dressait sur pilotis au milieu des dunes ; la route passait à cent mètres de là : on ne l’entendait pas. Une passerelle en escalier descendait vers la plage ; il la relevait chaque soir, depuis que deux bandits échappés de la prison de Lima l’avaient assommé à coups de bouteille pendant qu’il dormait : le matin, il les avait retrouvés ivres morts dans le bar. Il s’accouda à la balustrade et fuma sa première cigarette en regardant les oiseaux tombés sur le sable : il y en avait qui palpitaient encore.

Romain Gary, Les oiseaux vont mourir au Pérou.

[Mise à jour : 15 décembre 2022] – Merci à  Simon Brousseau pour m’avoir signalé la chute d’un moineau dans Hamlet.

Not a whit, we defy augury. There’s a special providence in the fall of a sparrow. If it be now, ’tis not to come; if it be not to come, it will be now; if it be not now, yet it will come. The readiness is all.

William Shakespeare, Hamlet.

Incidemment, dans Les fins heureuses de Simon Brousseau c’est un goéland qui tombe à pic du ciel.

Une fois la porte de Roger close, la mère de Denis a enfin remarqué la présence de son fils derrière la moustiquaire. Sans trop de conviction, elle l’a traité de grand flanc-mou et lui a demandé de ramasser les vêtements sales qui traînaient dans sa chambre, mais Denis n’a pas réagi car, au moment où Roger avait fait irruption, il avait aperçu, à l’autre bout de la rue, là où l’asphalte grouillait sous l’impact des rayons, un goéland tomber à pic, qui volait paisiblement une seconde plus tôt. Sa mère avait-elle vu la même chose que lui ? Impossible de le savoir, puisqu’elle était déjà retournée dans la cuisine. Est-ce qu’un oiseau peut mourir comme ça, en plein vol ? Denis ne savait pas quoi en penser, et il ne le sait toujours pas aujourd’hui, lorsqu’il tente de s’endormir après une autre journée éprouvante à l’usine FlyCore, se tortillant auprès de Karine, à qui il n’a jamais raconté cette histoire qui ne rime à rien et qui, à cause de cela peut-être, n’a cessé de l’habiter depuis.

Simon Brousseau, La vision de Denis, dans Les fins heureuses

Références :

Brousseau, Simon, La vision de Denis (nouvelle) dans Les fins heureuses, Le Cheval d’août, 2018, 197 p.

Desjardins, Richard, Va t’en pas, 1990.

Dubois, Jean-Paul, Le cas Sneijder, Paris, Éditions de l’Olivier, 2011, 217 p.

Gary, Romain, Les oiseaux vont mourir au Pérou, Folio, Gallimard, 277 p

Lapierre, René, Les adieux, Montréal, Les Herbes rouges, 2017 [édition numérique]

Pons, Maurice, Les saisons, Christian Bourgeois éditeur, coll. «10-18», 214. p. [édition numérique]

Saucier, Jocelyne, Il pleuvait des oiseaux, Montréal, XYZ, 2011, 179 p.

Shakespeare, William, Hamlet, Acte 5, scène deux, sur Gutenberg.

Wallace, David Foster , Infinite Jest. Little, Brown and Company, 2009. [édition numérique]

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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