Notre langue française : c’était mieux avant

notre langue française DelacomptéeSachez chères lectrices et chers lecteurs qu’un spectre hante la langue et la République française. On connaît la rengaine : le niveau baisse, c’était mieux avant. Nous pataugeons dans l’ère du «déclinisme» p. 58

Les causes :

Les vertus qui animaient nos grands anciens dont se réclame Francis Ponge privilégiaient la vigueur de l’esprit, condition d’un caractère fort. Celle d’un Caton, d’un Turenne, d’un Montesquieu, d’un Cézanne, des hommes francs, carrés, qui ne cédaient sur rien de ce qu’ils estimaient droit. Vertus incompatibles avec le langage des flux électroniques, radio, télévision, Internet, qui nous endort et contribue à la déconfiture esthétique et morale où la modernité trempe ses doigts. Logorrhée aux antipodes des vertus qui impliquaient l’art de parler juste, de s’exprimer au plus près des nécessités, avec la fermeté de ce qui ne peut s’énoncer autrement. Anciennes vertus armées de cette vivacité de lame qui blâme l’approximatif, qui sabre le flou. De ce tranchant qui condense l’essentiel en évacuant la limaille. L’évasif, le fumeux passés au coup de gomme. p. 13. (je souligne)

Passons sur le culte des anciens, du fantasme de l’Âge d’or et sur l’aspect vertueux de cette leçon.

Notons : «Les fissures dans les piliers des temples entraînent finalement leur chute.» p. 29.

De fait, Delacomptée conçoit les langues comme des sous-domaines de la Langue de la République. Je cite et souligne, admirez la précision, même si l’auteur ne prétend pas tendre à l’exhaustivité :

Ces langues, ces sous-domaines sont au nombre de sept. Il y a d’abord la haute langue, ce que le poète François Cheng appelle « le haut chant », ce vers quoi il exhorte à porter sans relâche notre langue, à la porter par écrit; puis la langue standard, écrite et orale; ensuite les langues régionales et minoritaires, orales mais en partie écrites; et les langues métissées, qui se déclinent selon l’origine de leurs locuteurs,  francophonies d’outre-mer comme des immigrations, surtout orales mais écrites aussi; puis la langue technique, celle des spécialistes, principalement écrite; puis la langue des rues, mitoyenne du français standard, comme l’argot du titi parisien quand le titi parisien existait encore, orale pour l’essentiel; enfin la langue des cités, nouvelle venue, orale et chantée. p. 32-33. (je souligne).

Ah bon! Les langues des francophonies d’outre-mer, surtout orales?  Un regard nettement franco-français-centré.

«D’autre part, toutes les langues comprennent des registres où se déchiffrent la classe sociale, parfois la caste, le genre sexué, ou l’âge. Mais sauf pour la classe sociale et marginalement pour le genre sexué, ces registres ne concernent pas le français. p. 33.» (je souligne).

Ces registres ne concernent pas le français? Sur la question, je préfère l’approche d’ Anne-Marie Beaudoin-Bégin et de Benoît Melançon. Il n’y pas une langue, mais des langues, lesquelles se déclinent selon les situations d’énonciation. Pour faire image, on ne porte pas la cravate pour jouer au curling de plage. Pour le détail de l’argumentaire, voir ici.

Sachez aussi que c’est la lutte des purificateurs  (Charlemagne, Louis XII, François Ier, Vaugelas, Malherbe. etc.) qui a garanti l’égalitarisme vers le haut (p. 38) en matière de langue, et la permanence d’une République une et indivisible.

Quand est-il des sous-domaines mentionnés supra 

«[L]a question est à présent de savoir si l’égalité va non seulement se perpétuer, mais se régénérer, par le haut, ou si, notre pays lâchant complètement prise, elle [la langue] va se réaliser par le bas, par un égalitarisme ravageur où la langue sombrera, entraînant dans sa chute la forteresse qu’est la constitution, et la République avec elles.» (p. 45 et 46)

Inférence douteuse : La République, une et indivisible, s’est érigée grâce à une langue commune [joli raccourci]. Cette langue commune est en péril [à démontrer], et partant, la République sombrera.

Catastrophe appréhendée. L’éternel retour des discours de la fin.

Une vision idéaliste, essentialiste et hiérarchique de la langue.

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Références :

Jean-Michel Delacomptée, Notre langue française, Paris, Fayard, 2018, 207 p.

Sur cette épineuse question, on pourra aussi lire et voir :

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, La langue rapaillée : Combattre l’insécurité linguistique des Québécois, Éditions Somme toute, 2015, 115 p.

I speak français. Documentaire, Télé-Québec,  2019.

Melançon. Benoît, Le niveau baisse (et autres idées reçues sur la langue), Del Busso Éditeur, 2015, 116 p.

 

 

 

 

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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Une réponse à Notre langue française : c’était mieux avant

  1. Luc Seguin dit :

    Perte de la vigueur de l’esprit » : même idée chez nos illustres déclinistes, Onfray et Houellebecq : perte de l’énergie vitale qui se répercute à tous les niveaux.

    Sa hiérarchie des langues est élitiste, xénophobe, et franchement délirante.

    Anne-Marie Beaudoin-Bégin insiste sur le fait qu’il n’y a que des variations du français, aucune n’étant supérieure aux autres

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