La goûteuse d’Hitler : le poids de la comparaison et de la métaphore

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La goûteuse d’Hitler est en lice pour le Prix du club des irrésistibles 2020 des Bibliothèques de Montréal.

Pour un résumé du déroulement du récit vous pouvez consulter le compte-rendu de Marie-Anne Poggi.

Ce roman n’est pas mon préféré. Outre que le récit traîne en longueur, j’ai été agacé par les nombreuses comparaisons et métaphores animales qui jonchent le récit. Elles ne sont pas toujours judicieuses ou versent parfois carrément dans un ridicule anthropocentrisme.

Pleurer comme des crocodiles rassasiés :

J’ai senti ma poitrine se serrer. La jeune fille couperosée a enfoui son visage dans ses mains, étouffant ses sanglots. « Arrête », a dit entre ses dents la brune à côté d’elle, mais à présent les autres pleuraient toutes comme des crocodiles rassasiés. Un effet de la digestion ? Allez savoir. 

Le coq et les grenouilles sombrant dans le sommeil

Le deuxième jour de ma vie de goûteuse, je me levai à l’aube. Le coq avait chanté et soudain, les grenouilles s’étaient tues, comme si elles avaient sombré toutes ensemble dans le sommeil.

Le choeur des oiseaux, leur chorégraphie, leur percée d’inconscience :

Je m’étais prise au jeu de déchiffrer dans le chœur des oiseaux un thème musical et dans leur vol une chorégraphie exécutée pour moi seule, pour ce moment enfin venu qui ressemblait à l’amour tel que je l’avais attendu adolescente. Un oiseau sortait du groupe, piquant seul et fier comme s’il voulait plonger dans la Spree, il effleurait l’eau de ses ailes déployées et remontait aussitôt : ce n’avait été qu’un désir soudain de fuir, une percée d’inconscience, un geste impulsif né dans l’ivresse de l’euphorie. Et cette euphorie, je la sentais crépiter dans mes mollets.

Quand les poules, les oiseaux et les abeilles vous donnent la migraine :

Les lueurs de l’aube avaient reflué comme le ressac, dépouillant le ciel matinal maintenant pâle, exsangue. Les poules s’ébrouèrent, les oiseaux pépièrent et les abeilles bourdonnèrent contre cette lumière à vous donner la migraine, mais le grincement d’un véhicule qui freinait leur imposa le silence.

Les moustiques qui s’acharnent «peut-être» sur Hitler :

Mais nous savions qu’Hitler était là, qu’il dormait tout près, et qu’en été il se débattrait peut-être dans son lit en essayant de tuer les moustiques qui troublaient son sommeil ; lui aussi s’acharnerait peut-être sur les cloques rougies, gagné par les envies contradictoires que suscite la démangeaison : vous avez beau ne pas supporter le chapelet de boutons sur votre peau, l’intense soulagement que vous éprouvez à vous gratter contredit votre envie de guérir. 

Dociles comme des vaches en apnée :

Arrivées à Krausendorf, devant l’école en briques rouges transformée en caserne, on se mit en marche les unes derrière les autres, en bon ordre. On traversa le hall, aussi dociles que des vaches, dans le couloir les SS nous arrêtèrent, nous fouillèrent. C’était odieux de sentir leurs mains s’attarder sur nos hanches, sous nos aisselles, et ne rien pouvoir faire, sinon rester en apnée.

Une secrète toile d’araignée :

En classe, j’avais cherché une fissure dans le mur, une toile d’araignée, quelque chose qui puisse m’appartenir comme un secret. Mes yeux avaient erré dans la pièce, qui semblait immense ; puis j’avais remarqué qu’il manquait un bout de plinthe et m’étais sentie rassurée. 

Une tête de serpent qui donne du relief à des bottes :

Vous complotez ? » Il était chaussé de bottes énormes, parfaites pour écraser une tête de serpent.

Précision du geste pour décapiter la tête des fourmis :

Voilà ce qu’a été mon enfance : les vitres embuées des fenêtres qui donnaient sur Budengasse, les tables de multiplication apprises par cœur de façon précoce, le trajet à pied pour l’école dans des chaussures trop grandes puis trop petites, les fourmis décapitées entre deux ongles, […]

La poule gémit, accouche dans la douleur et expie ses péchés :

Je me demandais si la [les poule] gémissait parce qu’elle avait mal, si la condamnation à accoucher dans la douleur pesait sur elle aussi et quel péché elle devait expier.

Des oies perplexes, une cigogne qui prie et pour compléter le portrait, des branches souffreteuses :

Des troncs graciles, filiformes, des branches souffreteuses, des tuiles envahies de mousse, des oies perplexes derrière les grillages, des femmes aux fenêtres et un homme à vélo qui ôta son chapeau pour me saluer sans cesser de pédaler, alors que je courais et l’ignorais. Sur un poteau électrique, un nid. La cigogne pointait son bec vers le ciel, en prière aurait-on dit – elle ne priait pas pour moi.

Des grenouilles atteintes de folie :

J’ignore depuis combien de temps il était là. Cette nuit-là, les grenouilles semblaient atteintes de folie. Dans mon sommeil, leur coassement incessant était devenu le remue-ménage des habitants de l’immeuble dans l’escalier qu’ils descendaient quatre à quatre, un chapelet à la main, les vieilles ne savaient plus à quel saint se vouer, ma mère désespérait de convaincre mon père de se réfugier à la cave, la sirène hurlait et lui se tournait de l’autre côté, tapotait son oreiller et y replongeait la joue.

Un chien débonnaire, mais sournois :

Nous n’avions pas eu cette intimité, lui et moi, nous avions été séparés trop tôt. Je ne mettrais peut-être jamais mon corps au service d’un autre, de la vie d’un autre. Gregor m’avait privée de cette possibilité, il m’avait trompée. Comme un brave chien débonnaire qui se retourne contre vous sans prévenir. Depuis combien de temps ne sentais-je pas ses doigts sur ma langue ?

L’insurrection des insectes :

Le fourmillement d’insectes sous la peau devint une insurrection. Elfriede et moi avions mangé le potage et ce succulent gâteau.

Remède pour soigner les insomnies d’Hitler :

Un jour, me dit-il, les collaborateurs du Führer avaient recouru à l’essence contre les insectes qui infestaient le coin et par la même occasion, sans le vouloir, éliminé toutes les grenouilles. Hitler n’arrivait pas à s’endormir sans leur chant monotone et strident, résultat : il avait envoyé des hommes en expédition dans la forêt pour trouver des grenouilles.

Des moustiques et des moucherons qui prolifèrent dans la sérénité et l’émerveillement :

J’imaginai les SS s’enfonçant la nuit dans la boue des marais, d’où moustiques et moucherons n’avaient pas été éradiqués et proliféraient sereinement, émerveillés d’avoir autant de jeune sang à sucer, autant de rejetons allemands à marquer de leur sceau.

Le hennissement d’un cheval plus déchirant que la pensée d’un inconnu mort :

Le hennissement effrayé d’un cheval qui vient frapper vos oreilles est plus déchirant que la pensée d’un inconnu mort, parce que les morts sont le matériau de l’Histoire.

Des grenouilles imperturbables et inconscientes :

Les grenouilles coassaient, imperturbables, inconscientes du risque que leur maître avait couru quelques heures auparavant, inconscientes même d’avoir un maître.

Aimer les vers [de terre] à venir? ;

Puis l’été 1944 avait décliné et je m’étais aperçue que j’existais moins depuis qu’il ne me touchait plus. Mon corps avait révélé sa misère, sa course irrésistible vers la décomposition. Il avait été conçu avec cette finalité, tous les corps le sont : comment est-il possible de les désirer, de désirer quelque chose qui est destiné à la putréfaction ? C’est comme aimer les vers à venir.

Et pour compléter l’animalerie,  sans commentaire :

« Les poules ne s’ébrouaient pas, elles ne le faisaient plus depuis des mois, Zart leur avait imposé silence ; sa présence suffisait à les calmer. Elles s’étaient habituées aux pneus qui crissaient sur le gravier, nous nous étions tous habitués. »

« Augustine se retourna. Une tache, un trouble de la vue. Gregor disait je vois des papillons, des mouches qui volent, des araignées ; je lui disais regarde-moi mon amour, concentre-toi »

« Mai 1933 avait connu le feu. J’avais peur que les rues de Berlin se liquéfient et nous emportent comme de la lave. Mais Berlin vivait une fête et ne brûlait pas, frappant du pied au rythme de la fanfare, même la pluie s’était retirée, laissant le terrain libre aux chars à bœufs et au peuple qui avait accouru place de l’Opéra. »

« Les oiseaux gazouillaient dans le ciel de mai et la facilité avec laquelle l’enfant d’Heike avait glissé entre ses jambes, la facilité avec laquelle il s’était laissé éliminer m’écrasait le sternum.

« Pourquoi Elfriede se comportait-elle ainsi ? Elle voulait mourir cachée, comme les chiens »

« La peur de la mort était une colonie d’insectes grouillant sous ma peau. Je me laissai retomber sur le sol. »

« Cette nuit, le Loup [Hitler] n’arrive pas à dormir. Il peut parler sans fin jusqu’à l’aube. Les uns après les autres, les SS s’endorment, la tête dodeline, puis tombe sur la paume, le coude posé sur la table tangue, mais la soutient toujours »

Référence :

Rosella Postorino, La Goûteuse d’Hitler, Éditions Albin Michel, 2018, 2019, 384 p. (édition numérique)

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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