Angoisse existentielle : la gestion des chaussettes trouées.
«Je m’y suis donc mis mais en me dévêtant j’ai observé que l’une de mes chaussettes, la gauche, était trouée autour du gros orteil.
Or que faire en pareille conjoncture ? Eh bien dans ce cas, plusieurs options et sous-options se présentent. On peut jeter les deux chaussettes et se priver ainsi de celle qui n’est pas trouée, ce qui est dommage. On peut aussi ne jeter que la trouée – ou la recycler comme chiffon – et conserver l’intacte en vue d’un réassortiment. Il s’agira d’attendre alors qu’une autre chaussette se troue dans une autre paire, de récupérer l’intacte et, par l’adjonction de l’intacte ancienne, reconstituer une paire en état de marche. C’est plus économique mais ce n’est pas moins aléatoire : cela suppose que l’état d’usure des deux chaussettes intactes soit analogue et qu’en même temps celles-ci soient de même longueur, couleur et matière – coton, laine, fil d’Écosse, soie, cachemire ou lin –, cela dit en toute hypothèse car pour ma part je me cantonne été comme hiver à la viscose. »
Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, Les Éditions de Minuit, 2020, 240 p. (édition numérique)