Température et incipit : Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé [87]

Soleil des Scorta

Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

Il fait très chaud. Un soleil qui rend fou. Une fournaise qui [abolit] les couleurs.

Le livre recèle des clins d’œil à d’autres œuvres littéraires : Les saisons de Maurice Pons; L’amour au temps du choléra, Chronique d’une mort annoncée et Cent ans de solitude, tous de Gabriel Garcia-Marquez.

Lecture d’été et de changements climatiques.

La chaleur du soleil semblait fendre la terre. Pas un souffle de vent ne faisait frémir les oliviers. Tout était immobile. Le parfum des collines s’était évanoui. La pierre gémissait de chaleur. Le mois d’août pesait sur le massif du Gargano avec l’assurance d’un seigneur. Il était impossible de croire qu’en ces terres, un jour, il avait pu pleuvoir. Que de l’eau ait irrigué les champs et abreuvé les oliviers. Impossible de croire qu’une vie animale ou végétale ait pu trouver – sous ce ciel sec – de quoi se nourrir. Il était deux heures de l’après-midi, et la terre était condamnée à brûler.

Sur un chemin de poussière, un âne avançait lentement. Il suivait chaque courbe de la route, avec résignation. Rien ne venait à bout de son obstination. Ni l’air brûlant qu’il respirait. Ni les rocailles pointues sur lesquelles ses sabots s’abîmaient. Il avançait. Et son cavalier semblait une ombre condamnée à un châtiment antique. L’homme ne bougeait pas. Hébété de chaleur. Laissant à sa monture le soin de les porter tous deux au bout de cette route. La bête s’acquittait de sa tâche avec une volonté sourde qui défiait le jour. Lentement, mètre après mètre, sans avoir la force de presser jamais le pas, l’âne engloutissait les kilomètres. Et le cavalier murmurait entre ses dents des mots qui s’évaporaient dans la chaleur. “Rien ne viendra à bout de moi… Le soleil peut bien tuer tous les lézards des collines, je tiendrai. Il y a trop longtemps que j’attends… La terre peut siffler et mes cheveux s’enflammer, je suis en route et j’irai jusqu’au bout.

Les heures passèrent ainsi, dans une fournaise qui abolissait les couleurs. Enfin, au détour d’un virage, la mer fut en vue. “Nous voilà au bout du monde, pensa l’homme. Je rêve depuis quinze ans à cet instant.

[Mise à jour : 10-07-2021, vers 15 quinze heures quinze.]

Luc Séguin me signale que le début de ce roman lui rappelle «Pedro Páramo» de Juan Rulfo.

Je suis allé vérifié. Saperlipettouille! Il a bonne mémoire :

«C’était pendant les jours caniculaires où souffle le vent d’août brûlant, corrompu par l’odeur putride des savonniers.» (sixième paragraphe du début de récit)

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Laurent Gaudé, Le soleil des Scorta, Actes-Sud, 2004, 246 p. pour la version imprimée – (édition numérique)

Juan Rulfo, Pedro Páramo, Gallimard, 2013 (c2005), 1955 pour l’édition originale, 183 p. pour la version imprimée – (édition numérique)

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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