Les livres se parlent

[Billet publié sur le site du Club des irrésistibles des Bibliothèques de Montréal, le 14 décembre 2023. Je le rapatrie dans mes archives.]

Ceci n’est pas un fait divers. Le dernier opus de Philippe Besson.

Au début du récit, une jeune fille de 13 ans, habitant Blanquefort (près de Bordeaux) appelle son frère, 19 ans, qui habite Paris pour lui dire : «Il s’est passé quelque chose». Mais qu’est-ce à dire? « Papa vient de tuer maman». Le frère va sauter dans le premier train pour aller la rejoindre. Ce n’est pas un fait divers.

L’horreur est connue d’emblée. Philippe Besson s’appliquera ensuite pendant 50 courts chapitres et quelque 200 pages numériques à dire l’innommable, l’ignominie : un autre féminicide. Pourquoi? Comment? Qu’arrivera-t-il aux survivants, à l’assassin?

Les livres dont le « dénouement » est annoncé dès le début ont la cote ces dernières années. Je pense à Vivre vite de Brigitte Giraud et à Chanson douce de Leïla Slimani. Pourtant, chacun de ces livres entraîne le lecteur dans un suspense à rebours. Slimani et Besson partagent plusieurs qualités : une écriture efficace, une approche factuelle, un certain laconisme et, surtout, une quasi-absence de pathos malgré les thèmes abordés (infanticide et féminicide).

La reconstitution des faits et l’appel à la mémoire occupent aussi une place prépondérante dans le texte de Besson et dans Triste Tigre, le récent roman de Neige Sinno. Ces deux aspects sont aussi omniprésents dans La familia grande de Camille Kouchner et dans Le consentement de Vanessa Springora. Il est question d’abus sexuels dans ces trois derniers livres.

La violence du père dans Ceci n’est pas un fait divers fait écho à l’intensité du tout aussi insoutenable Les sources de Marie-Hélène Lafon.

Autre constante dans chacun des récits évoqués plus haut : l’aveuglement et les silences, tant individuels que sociaux, qui entourent les situations dramatiques que ces autrices et cet auteur mettent en scène.

Les silences tempêtent.

Ces livres se parlent. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre la fureur dans leurs bruissements.

Références :

Besson, Philippe, Ceci n’est pas un fait divers, Julliard, 2023. [Édition numérique].
Giraud, Brigitte, Vivre vite, Flammarion, 2022, [Édition numérique]
Laffon, Marie-Hélène, Les sources, Buchet Chastel, 2023 . [Édition numérique].
Slimani, Chanson douce, Gallimard, 2016, [Édition numérique].
Springora, Vanessa, Le consentement, Grasset, 2020. [Édition numérique].

Publié dans Accouplements, Critique, Littérature, Recommandation de lecture, Société, Style | Laisser un commentaire

Température et incipit : Qimmik de Michel Jean [110]

aaqyuimmick

Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

NUNAVIK
Le ciel, le roc, l’océan. Sous une lumière obscène, face à l’Arctique, mer de glace. Terre nue. Pays sans arbre. Entre le ressac et le silence, le vent, le vent du nord, règne sans partage. Son souffle glacial soulève les flots, emporte dans son sillage des tourbillons de neige qui courent sur la terre comme sur l’eau. La toundra gronde.

Michel Jean amorce de nombreux chapitres de son roman avec des descriptions météorologiques.

De brèves notes de lecture suivent après une cascade de citations.

PÊCHEURS
Le sentier se faufile entre de grands arbres aux branches graciles que le vent balance avec douceur. Le soleil émerge derrière les montagnes, mais il perce à peine le couvert végétal.

LONGUE-RIVE
«Qimmik! Qimmik!»
Le vent joue dans son pelage blanc, gris et noir. Le soleil fait briller ses reflets de roux pendant qu’il file sur la plage déserte, ses grosses pattes tambourinant sur le sable humide.

DEUX MONDES
La Côte-Nord du Québec est une vaste forêt dressée face à un océan taciturne. Le vent vient de tous les côtés, mais le plus obstiné est celui qui descend du nord.

LUMIÈRE
Il était là à l’heure et au lieu dits. Avec ses chiens et son air de grand adolescent qui se moquait du vent et du froid.

PREMIÈRES NEIGES
Une fine couche de glace s’est formée le long de la berge et, en se figeant, l’eau a dessiné une série de ridules. Bientôt, tout le lac gèlera, la glace deviendra bien épaisse et solide. J’aime l’image du lac qui se transforme avec les saisons.

FRISSONS
Les collines se couvrent de givre blanc. Chaque jour est plus froid que le précédent, chaque nuit le vent siffle plus fort. Le paysage se fige, immobile comme la mort, sous son visage le plus beau et le plus hideux.

ATTENDRE
Il fait moins de trente-cinq degrés depuis deux semaines, et même les phoques retiennent leur souffle, nous n’en avons tué aucun. La pêche ne suffit pas à nourrir vingt chiens et deux humains. Nous vivons sur des réserves qu’il faut économiser, seuls au milieu d’un territoire coupé du monde par le froid polaire.

NUAGE
Un autre matin froid et silencieux. Ulaajuk dort presque jour et nuit. Il semblait aller mieux, mais hier il a paru plus faible que jamais et il est resté couché. Je me sens seule et j’ai peur. Je voudrais me coller au chaud près de lui. Me reposer. Juste dormir sur son épaule. Le vent souffle au-dessus de l’igloo, nous rappelle sa présence.

BÉLUGAS
C’est le même chemin, mais différent. Les paysages d’abord. Les falaises me semblent plus hautes, plus accidentées aussi. Comme si elles portaient les marques laissées par les griffes du vent.

DÉGEL
L’hiver, il souffle toujours du Nord. Cassant et glacial. Il balaie tout ce qui se dresse devant lui. On dirait qu’il durera éternellement.

HURLER
C’est le printemps, la glace s’est retirée.

***

Notes de lecture.

Hurler. Le titre du dernier chapitre cité. Michel Jean affectionne ce verbe. Il en abusait déjà dans Kukum (quatorze occurrences). Je l’avais illustré ici.

On retrouve aussi quatorze occurrences de ce verbe dans Qimmick. Sauf pour le vent et les chiens qui hurlent, cette fois-ci l’auteur a évité l’anthropomorphisme qui était omniprésent dans Kukum. Pour mémoire, dans ce roman, les trains hurlaient, les rafales hurlaient, les turbines à vapeur hurlaient, le vent hurlait, les chutes hurlaient.

Question importante. Trouve-t-on des mouches dans ce roman? La marque des véritables écrivains. Il ne fallait pas s’attendre à une pêche miraculeuse avec ce froid polaire. On en trouve trois au fil du récit : celles que l’on fixe à l’hameçon pour pêcher l’omble et le saumon et des mouches noires qui se sont égarées dans un dialogue.

Question subsidiaire. Les oiseaux tombent-ils du ciel dans cette histoire? Non!

Le collectionneur compulsif repart un tantinet déçu. Il s’en remettra.

J’en recommande la lecture, malgré une intrigue prévisible et parfois, la présence d’un certain poids de la métaphore : l’océan taciturne, le sentier se faufile, les griffes du vent, la lumière obscène et l’océan qui gronde.

Michel Jean, comme dans ses romans précédents, illustre avec justesse la hargne des Blancs pour civiliser les Premières Nations.

__________

Michel Jean, Qimmick, Libre Expression, 2023. [Édition numérique]

Publié dans Citations, Critique, Le poids de la métaphore, Mouches dans la littérature, Recommandation de lecture, Style, Température et incipit | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Un gars, ça ne pleure pas

J’ai lu avec un grand intérêt les articles de Léa Carrier dans la Presse+ sur la montée du masculinisme chez les jeunes au Québec.

J’ai voulu savoir ce que les chroniqueurs conservateurs et gardiens de la civilisation en déclin en pensaient.

J’ai rapidement trouvé. C’était dans une chronique de Monsieur Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal.

Le raisonnement m’a paru, soyons poli, un tantinet bancal :

Il faudra reconstruire la figure de l’homme sûr de lui, responsable, courtois, élégant, sachant retenir ses larmes, et ne croyant pas que c’est en s’épanchant publiquement qu’il sera authentique. Il faudra reconstruire la figure du gentleman, comme le propose un Hugo Jacomet, dont les conseils dépassent les exigences de l’élégance masculine, et relèvent en fait d’un plaidoyer pour la reconstruction d’une masculinité civilisée.

Je ne voudrais pas en faire une affaire personnelle, m’épancher, mais suis-je un être déconstruit? Il m’arrive parfois d’avoir le motton et de verser des torrents de larmes.

Suis-je un gentleman élégant? Je ne porte pas de complet trois pièces, rarement la cravate. J’use mes Dubuc à la corde.

Est-ce que je participe au déclin de la civilisation masculine? Angoisse existentielle.

Ça hurle aussi au sujet des quotas mis en place au sein de Québec solidaire.

Lisez simplement ce qu’en pense Elma Elkouri. C’est . Un extrait?

« Si vous pensez qu’une femme n’est pas aussi compétente qu’un homme, arrivez en 2023 SVP », a écrit sur X l’ex-porte-parole de QS Manon Massé.

Il semble malheureusement que plusieurs peinent à y arriver, coincés dans l’ascenseur social des années 1950 qui a toujours favorisé les hommes sans que personne ne crie à la discrimination ou à l’incompétence.

Bon, c’est un blogue peu ou prou littéraire. Je vous recommande fortement la lecture du roman de Faïza Guène : Un homme, ça ne pleure pas.

P.-S. Souvenir. Ça fait des lustres que les gars portent des jupes pour protester contre les directions des écoles qui exigent que les filles portent des pantalons. Ce fut le cas au début des années 80 à l’école Louis-Riel. L’école avait annulé sa directive dès le lendemain de la manifestation des garçons. Andrew Tate n’était pas né, ni le féminisme idéologique.

 

Publié dans Accouplements, Époque pourrie, Société, Souvenirs | Laisser un commentaire

Le délire oculaire de Renaud Camus et «Les déclinistes» d’Alain Roy.

 

Declinistes-C1rvbHD

Le Grand remplacement. Le «concept» est devenu un lieu commun utilisé par un nombre grandissant de «penseurs» de l’avenir et du présent. On sait grosso modo que selon Renaud Camus la France est en péril non seulement face à  l’immigration massive à venir des musulmans, mais d’ores et déjà par leur présence sur le territoire de la douce France. Les statistiques des sociologues ont beau prouver le contraire, Camus n’en démord pas. Il suffit de se fier à son œil.

En lisant Les Déclinistes d’Alain Roy, un souvenir a refait surface du temps où je faisais mes études en sociologie. C’était au siècle précédent. Je vous mets d’abord l’extrait tiré de son livre.

[…] d’où Camus tient-il que les statistiques des sociologues seraient fausses ? Comment peut-il affirmer une telle chose sans recourir lui-même à des statistiques qui seraient plus exactes ? Évidemment, il ne le peut pas. Mais comment faire alors pour établir qu’il y a péril en la demeure, que la France sera prochainement soumise à un « changement de peuple » ? À quel instrument de mesure se fier pour obtenir un portrait plus fidèle de la situation ? C’est la seconde surprise que nous réservent les écrits remplacistes de Camus : pour estimer la composition de la population française, l’auteur s’en remet – tenez-vous bien – à son regard. Afin de connaître la démographie de leur pays, les Français n’auraient qu’à « en croire leurs yeux » . Selon la conception naïvement empiriste que défend ici l’auteur, il suffirait donc de se fier à ses perceptions oculaires pour mesurer la composition de la population générale : « Et s’il est interdit de compter et de publier des chiffres [ce qui est faux, en passant, des dérogations sont prévues pour les études que mènent des instituts nationaux à ce sujet], il ne l’est pas encore tout à fait d’en croire ses yeux et l’expérience quotidienne, bien que tout soit fait pour nous dissuader de nous en remettre à eux, et pour nous convaincre de substituer au jugement de nos sens et de notre esprit celui des seuls autorisés de parole, experts, sociologues, intellectuels organiques du pouvoir antiracistique ». »

Qu’en est-il du souvenir évoqué plus haut?  Jules Duchastel, professeur émérite au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, nous avait enseigné les bases de la méthode scientifique en recherche sociologique. De mémoire :

«On ne fait pas de sociologie, en regardant la foule circuler au coin de Sainte-Catherine et St-Laurent.».

Et il ajoutait, les faits ça n’existent pas, ce sont des «construits». Il avait beaucoup lu Durkheim et Bourdieu (moi aussi). S’il enseigne encore, j’en doute, il a 80 ans, il ajouterait sûrement aussi : le «gros bon sens» ça n’existe pas, non plus.

Bref, j’ajoute une catégorie «souvenirs» à mon babillard.

***

Le livre d’Alain Roy? Excellent. Il a un peu repris le contenu de ses écrits parus à l’automne 2017 dans la revue L’inconvénient, notamment pour son analyse des œuvres de Houellebecq (Soumission), d’Onfray (Décadence), de Finkielkraut (L’identité malheureuse) et de Zemmour (Le suicide français)

En ce qui concerne notre décliniste, Mathieu Bock-Côté, il se contente de critiquer son essai Le Multiculturalisme comme religion politique. Ça date. On comprend que l’on se puisse se lasser de la prose du chroniqueur du Journal de Montréal, mais j’aurais  aimé qu’il se penche sur les titres  suivants : L’Empire du politiquement correct : essai sur la respectabilité politico-médiatique et La Révolution racialiste : et autres virus idéologiques.  J’ai quand même fait ma part : Le totalitarisme et la manipulation des masses pour les nuls.

Pour un regard critique sur la pensée de Mathieu Bock-Côté, la lecture des essais suivants est fortement recommandée :

Alex Gagnon : Les déchirures : Essais sur le Québec contemporain. 

Mark Fortier : Mélancolies identitaires.

Francis Dupuy-Déri : Panique à l’université.

***

Référence :

Alain Roy, Les déclinistes : ou le délire du grand remplacement. Écosociété, 2023. [Édition numérique]

Publié dans Philosophie, Recommandation de lecture, Rhétorique, Société, Sociologie, Souvenirs, Temps | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Température et incipit : Tu choisiras les montagnes. [109]

montagnes

Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

Andréane Frenette-Vallières est lauréate du Grand Prix du livre de Montréal, édition 2023.

Mona :

Je t’écris depuis une maison de vent. Je n’appartiens plus au monde. J’ai couché les herbes hautes pour me tapir sous les hirondelles. Des sternes vont et viennent dans ma tête, des idées m’obsèdent, me contraignent. Elles me contraignent car au lieu de me donner une force d’agir, elles paralysent.  Je cherche en elles une solution avec les moyens du bord : avec ma fermeture, avec ma froidure. Je suis captive.

Andréane Frenette-Vallières, Tu choisiras les montagnes, Noroît, collection Chemins de traverse, 2022. [Édition numérique]

Publié dans Poésie, Recommandation de lecture, Température et incipit | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Les mouches, les oiseaux et Mao dans Psychopompe de L’Amélie [34]

Wharholl - Mao-minMon  ami, JimG de St-Athanase, m’a transmis le tome II de ses Mémoires. J’ai été particulièrement réjoui par sa plume lorsqu’il se penche sur le dernier livre d’Amélie Nothomb : Psychopompe. C’est connu, je collectionne les extraits où les oiseaux tombent du ciel et ceux où apparaissent des mouches. Je suis aussi attendri par les incipit où il est question du temps qu’il fait.

Alors, extraits :

La tentative d’élimination des moineaux en Chine, décrite par l’Amélie dans Psychopompe, a fortement suscité mon intérêt. Manifestement, le président Mao faisait peu de cas de la littérature. Sans les oiseaux, pas d’Amélie. Pire encore, cette campagne populaire contre les quatre nuisibles incluait l’éradication définitive des moustiques, des rats, des moineaux [qui tombaient du ciel] et de toutes les mouches de la Chine continentale. Sans les mouches plus de littérature! Ni de véritables écrivains! Cela avait lieu pendant le Grand Bond en avant. Je n’en avais pas eu conscience à l’époque, et je n’ai pas mémoire non plus que mes professeurs marxistes de l’université du prolétariat en aient fait mention. Alors je me suis dit : «Ces intellectuels organiques nous cachaient sciemment des informations capitales». «Et nous tuerons tous les oiseaux», ce serait un joli titre pour un aberrant roman écrit d’après une histoire vraie.

JimG est un curieux. Il aime aller au fond des choses. C’est un lecteur en série. Il a poursuivi sa recherche :

Mao Zedong, Grand Timonier, fait aussi preuve d’incompétence en matière de littérature, il suffit pour s’en convaincre de lire ses «Interventions sur l’art et la littérature» (mai 1942). Une oraison d’une soixantaine de feuillets, dont l’incipit n’est absolument pas météorologique [je les collectionne aussi] et dans laquelle on ne trouve même pas un asticot. On trouve toutefois des mouches dans quelques poèmes écrits par Mao au début des années 1960, notamment dans «Réponse au camarade Guo Mo-Ruo» (1963) et« Nuages d’hiver» (1963).  

Je complète le tableau en vous fournissant le passage analysé par JimG dans Psychopompe :

Mais Mao avait lancé l’une de ses grandes opérations, qui consistait à rendre l’oiseau responsable des famines et autres nuisances. Chaque Chinois devait massacrer les oiseaux qui étaient à sa portée, et même les autres. Cette action fut un succès d’autant plus considérable que celui qui brandissait, devant le commissaire du peuple, le plus de dépouilles aviaires recevait louanges et faveurs.
La Chine ne tarda pas à devenir un désert d’oiseaux. Il fallut beaucoup de temps au Grand Timonier pour remarquer les conséquences catastrophiques de cette disparition pour l’écologie et l’économie du pays. Et comment proclamer qu’il s’était trompé ?
——–

Illustration : 

Mao par Andy Wharhol. Photo prise à Vienne, le 9 avril 2023, à 16h34, au Musée Mumok.

Références :

Amélie Nothomb, Psychopompe, Albin-Michel, 2023. [Édition numérique]

JimG : Mémoires, Tome II, St-Athanase, Éditions du lecteur captif, 2023. [Édition numérique]

Publié dans Expositions, JimG, Mouches dans la littérature, Recommandation de lecture, Température et incipit | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

La fin de la civilisation

Onfray - Le fétiche

Lecture du dernier essai de Michel Onfray : Le fétiche et la marchandise.

Ça pourrait plaire à ceux qui s’intéressent à la pensée hyperbolique, à l’exagération rhétorique et à la généralisation empirique.

Toute ressemblance avec  Testament, le dernier film de Denys Arcand,  est purement fortuite.

Un extrait de l’opus d’Onfray ? :

Les Administrateurs Mondiaux, ils existent déjà aux États-Unis et dans les pays vassalisés, dont la France dans l’Europe de Maastricht ; le système des castes et le meilleur des mondes, ces gens-là y travaillent avec des instruments qui s’avèrent autant d’armes de guerre de ce totalitarisme courtois et qui ont pour nom : européisme, politiquement correct, déconstruction, wokisme, islamo-gauchisme, créolisation, transhumanisme.

Ce qui a lieu actuellement travaille à la fin de notre civilisation, dit Huxley, il a raison.

J’admets que totalitarisme courtois est un joli oxymore, mais il l’a emprunté à Aldous Huxley.

Bref, Onfray est en bonne compagnie avec Monsieur Mathieu Bock-Côté, un autre penseur de la modernité :

Nous sombrons dans «une déconstruction des fondements anthropologiques de l’humanité.» (p. 58 ).

Mathieu Bock-Côté, L’empire du politiquement correct : essai sur la respectabilité politico-médiatique, Les Éditions du cerf, 2019, 298 p.

Michel Onfray, Le fétiche et la marchandise, Paris, Bouquins, 2023, [Édition numérique]

 

 

 

 

Publié dans Citations, Critique, Époque pourrie, Éreintement, Philosophie, Rhétorique | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Les mouches de Riopelle [33]

[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici]

Les peintres ne craignent pas d’insérer des mouches dans leurs œuvres.

Je décrète que Riopelle est un véritable peintre.

Ma modeste contribution pour souligner son 100e anniversaire.

IMG_5884-min

IMG_5885-min

IMG_5886-min

IMG_5887-min

Ces toiles sont toutes intitulées Autres mouches.

Ce n’est pas une mouche, mais elle a dû en avaler :

ici-min

Dans une exposition à La Maison des peuples autochtones de Mont Saint-Hilaire, vue le 8 octobre 2023. Riopelle est né le 7 octobre 1923.

Publié dans Expositions | Marqué avec | Laisser un commentaire

Température et incipit : La musique dans le sang de Carole Tremblay [108]

Carole Tremblay Musique-min-1

Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

Le blanc planait dans un halo de nuages qu’on aurait dit de glace. Dans la ruelle où Bourget venait de s’engouffrer, le vent sifflait, léchant de son haleine froide la brique rouge des maisons d’Outremont. Le jeune homme releva son col. Sale pays. p. 11

Carole Tremblay, Musique dans le sang, Boréal, 1993, 294 p.

Publié dans Recommandation de lecture, Température et incipit | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Les mouches dans L’échiquier de Jean-Philippe Toussaint [32]

l'échiquier

[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici

Admirez la pertinence de cette mouche qui se pose sur la couronne d‘un Roi. Le geste nonchalant des joueurs qui s’en suit. Un beau texte.

Assis de chaque côté de l’échiquier, une main sous le menton ou la tête dans les mains, nous réfléchissions pendant des heures en silence. Une mouche, parfois, venait se poser sur la couronne d’un Roi, et nous l’écartions nonchalamment, d’un revers ralenti de la main, tout en continuant à réfléchir.

Et cette mère, fine mouche (1) en matière de littérature et d’avenir pour son fils.

Ces déjeuners  sont pour elle [la mère du narrateur] comme les différents chapitres d’un livre immatériel qu’elle composerait en notre compagnie en égrenant ses souvenirs au fil des hasards et des détours de la conversation. Peut-être même, fine mouche comme elle est, imagine-t-elle que, plus tard, je pourrais faire un usage littéraire de ces évocations.

Je ne suis pas surpris que ce récit (sans incipit météorologique) ait été sélectionné comme finaliste du Prix Goncourt. Le roman de Kevin Lambert – Que notre joie demeure –  l’a aussi été (sans mouche), mais avec un incipit digne des véritables écrivains.

À suivre. Pour ceux qui courent les concours.

Une dernière considération à propos de L’Échiquier. Toussaint pense que la littérature n’a pas pour but de raconter des histoires. Ils nous en racontent plusieurs qui sont étalées sur chacune des 64 cases du jeu. En prime, nous avons comme dans ses livres précédents une appréciation du temps qui passe, de la durée. À lire. Un livre écrit dans l’urgence et la patience. Son meilleur.

P.-S. J’ai pardonné à Toussaint son utilisation du mot crosse pour désigner un bâton de hockey et celui de palet au lieu de «la puck» (la rondelle pour les puristes). Et encore, peut-on dribbler au hockey? Des détails au vu de l’extrait suivant qui est plutôt réussi et truculent :

Je garde un souvenir ému de ce grand appartement berlinois où nous avons passé près de deux ans, murs blancs et meubles fonctionnels, fauteuils Bauhaus, lampes métalliques, sans compter le parquet lisse du salon qui, encore aujourd’hui, me fait irrésistiblement revenir en mémoire les homériques parties de hockey sur glace que je jouais là avec mon fils. Il fallait voir les boulettes qu’il m’envoyait, « petit Jean », avec la mini crosse de hockey que je lui avais achetée, la soulevant jusqu’à l’épaule pour armer son tir et propulser de toutes ses forces dans les airs le petit cube de Lego léger dont nous nous servions comme palet, tandis que, les genoux fléchis, je me tenais un peu gauchement dans les buts, ou, au contraire, quand lui-même, coiffé d’un casque de moto intégral et muni de gants de boxe qu’il avait reçus pour son anniversaire, il défendait ses buts contre mes assauts zigzagants de Tchèque improvisé, quand, en pantalon de flanelle et en chaussettes grises, je patinais librement dans le salon de notre appartement, protégeant la rondelle sous ma crosse, les yeux à l’affût de la moindre ouverture dans la défense adverse, avant de slalomer soudain devant le gardien pour le dribbler et glisser le palet au fond de sa cage d’un dernier revers imparable de la crosse, en évitant l’ultime assaut de tout le corps de ce petit garçon de quatre ans qui se jetait dans mes jambes avec la fougue généreuse dont sa mère faisait généralement preuve pour se jeter dans mes bras.

  1. Sauf distraction de ma part, cette expression n’a pas été relevée par Gabriel Arcand et Serge Bouchard dans leur texte consacré aux mouches.

Jean-Philippe Toussaint, L’échiquier, Éditions de Minuit, 2023. [Édition numérique]

 

Publié dans Mouches dans la littérature, Recommandation de lecture | Marqué avec , | 2 commentaires