Lecture joyeuse des finalistes au Prix du Club des irrésistibles 2012

Billet publié le 14 avril 2013. Englouti dans le cyberespace et récupéré grâce aux bons soins de Wayback Machine

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Le Club des Irrésistibles des Bibliothèques de Montréal remettra son prix annuel le 22 avril 2013.

Cinq titres sont en lice :

1- La Liste de mes envies, de Grégoire Delacourt (JC Lattès, 2012)
2- Le Poids du papillon, d’Erri De Luca (Gallimard, 2009, 2011)
3- Le Cas Sneijder, de Jean-Paul Dubois (de l’Olivier, 2011)
4- Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan (JC Lattès, 2011)
5- La Délicatesse, de David Foenkinos (Gallimard, 2009)

Ça tombe bien, je les ai tous lus et j’en ai proposé des lectures disons joyeuses, parfois, oh misère, emphatiques, sur le portail du Club qui n’est pas le lieu idéal pour l’éreintement. Pourtant, il y en a peu que je relirais. Mon critère pour l’élagage de mes collections et la gestion de l’espace : potentialité de relecture ou de prêt à un ami lecteur, je conserve; histoire d’un soir, direction recyclage.

Relu dernièrement Le poids du papillon d’Erri de Luca et Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois(question de revisiter l’Île des Soeurs et la folie).

Petite déception : aucun roman québécois dans la liste. Il y avait quand même Les Amazones de Josée Marcotte dont j’ai proposé une lecture un tantinet délirante sur le blogue de François Bon dans le cadre des Vases communicants : Recette pour lire les Amazones de Josée Marcotte avec son tableur Excel, Antidote et autres bidules du même tonneau. Il y avait aussi Vézina, mon pote, sa Molly : Molly Galloway : Gloire aux vaincus, par Denis Vézina. Et côté poésie, l’immense : « Un drap. Une place. » de Maude Smith Gagnon – La perfection formelle du raisin mou » .

Mes lectures des finalistes proposées sur le portail du Club en 2012 :

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Vous dire d’abord que j’ai été un peu estomaqué en découvrant que le roman de Dubois s’ouvrait sur une scène où « il pleuvait des oiseaux » (1)… Ça pourrait lui porter chance pour la remise du prix des Irrésistibles 2012 (2)… J’ai toujours un grand plaisir à lire les romans de Dubois (j’ai tout lu). J’aime ses obsessions, ses redites, ses enfants qui sont toujours monstrueux et ses compagnes aussi, un peu… Le personnage principal du roman est le rescapé miraculeux d’un « accident » d’ascenseur. Il y perdra sa fille. Son comportement est un peu chamboulé par l’événement : il se met à compulser des livres et des revues sur les ascenseurs ; abandonne son boulot à la SAQ pour devenir promeneur de chiens; devient ami avec l’avocat représentant l’assureur de la compagnie d’ascenseur fautive ; nourrit une profonde indifférence envers sa compagne qui le trompe avec un bel Ontarien, etc. À lire, pour sourire et maudire. C’est la version du XXIe siècle de Vol au dessus d’un nid de coucou. Quand on se demande de quel côté sont vraiment les fous ?

(1) Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux, Les éditions XYZ, 2011.

(2) Note avril 2013 : remarque prémonitoire quand même

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L’auteure reconstruit la vie de sa mère, ses dépressions et sa mort lente. Écrit avec sobriété, sans complaisance ni sentimentalité. Sur le thème de « Famille je vous hais / je vous aime », avec vos incestes, vos vies détruites, vos envies de façonner l’autre et de le dominer, vos aveuglements et vos folies. Le récit de la douleur et de son dépassement.

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Il traînait sur une table dans ma bibliothèque de quartier. Le titre m’a interpellé. La Délicatesse. J’avais un vague souvenir de l’avoir vu passer sur le fil de presse du Club des Irrésistibles. Je l’ai rapidement examiné. Un livre qui porte en exergue une citation de Cioran m’intrigue toujours, surtout lorsqu’il s’agit d’un « roman d’amour ». Je l’ai lu, d’un trait, sourire aux lèvres. J’ai dès le début du récit été impressionné par la précision du tir, le ton, l’ambiance, les phrases courtes qui portent.

L’incipit : « Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse). Elle avait traversé l’adolescence sans heurt, respectant les passages piétons. À vingt ans, elle envisageait l’avenir comme une promesse. Elle aimait rire, elle aimait lire. Deux occupations rarement simultanées puisqu’elle préférait les histoires tristes. » Voilà ce qui s’appelle bien camper un personnage. Une histoire qui commence, de façon un peu banale, la rencontre fortuite de deux êtres, l’amour, le mariage… Et ça nous tombe dessus comme on échappe un œuf à terre, le mari est terrassé par une voiture et rend les armes quelques heures plus tard… La suite est vraiment désopilante. Histoire de la rencontre de la Nathalie avec un de ses employés, un Suédois, qui nous fait d’abord l’effet d’un chien dans un jeu de quilles et qui finit par nous réjouir et la séduire avec son sens de la répartie, son humour, ses involontaires envolées poétiques, ses gaucheries et ses angoisses. Un réaliste de la passion amoureuse : « […] on a toujours cinq minutes de retard sur nos conversations amoureuses ». Drôle. À lire à la tombée des jours couleur de cendres.

Note avril 2013 : L’adaptation cinématographique avec Audrey Tautou dans le rôle de la veuve éplorée serait un four, dit-on.

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Un court roman. Ça se lit entre la poire et le fromage. Petit traité ludique sur le bonheur qui, comme chacun sait, depuis Aristote et son Éthique à Nicomaque ne réside pas dans les extrêmes, mais dans la médiété.

Un petit futé du marketing littéraire, Grégoire Delacourt. Son roman puise dans la possible liste de vos propres envies et de vos ennuis.

Son héroïne ne paie pas de mine, elle tient un blogue et une mercerie (oups, zeugme involontaire) qui battent un peu de l’aile, a épousé le mauvais garçon, car elle n’a jamais eu le courage de ses désirs. On en rajoute un peu pour attendrir le lecteur : elle a été témoin à 17 ans de la mort de sa mère, son père est un tantinet absent et son mari est violent, mais elle l’aime malgré tout, malgré sa sauvagerie. Un gain de 18 millions d’euros va lui permettre de réfléchir à la mise à jour de ses envies. La conquête de l’autonomie d’une femme pétrifiée dans l’abnégation, soumise et quand même heureuse de l’être.

Si vous aimez lire une histoire un peu convenue, réfléchir sur le bonheur sans trop vous tracasser et les fins heureuses, c’est le bon livre. C’est honnête, comme on dit d’un vin moyen, ça soûle, même, un peu.

Note avril 2013 : Un peu baveux, mon truc quand même.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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