Les mouches et la littérature : avis aux véritables écrivains [1]

moscas

Les voyages forment les personnes qui ont atteint l’âge admirable. J’ai récemment fait la découverte – à Madrid – d’un texte truculent d’Augusto Monterrosso : Las Moscas. Sachez que la mouche envahit toute la littérature.  Un extrait. La traduction suit :

Hay tres temas : el amor, la muerte y las moscas. Desde que el hombre existe, ese sentimiento, ese temor, esas presencias lo han acompañado siempre. Traten otros los dos primeros. Yo me ocupo de las moscas, que son mejores que los hombres, pero no que las mujeres. Hace años tuve la idea de reunir una antología universal de la mosca. La sigo teniendo. Sin embargo, pronto me di cuenta de que era una empresa prácticamente infinita. La mosca invade todas las literaturas y, claro, donde uno pone el ojo encuentra la mosca. No hay verdadero escritor que en su oportunidad no le haya dedicado un poema, una página, un párrafo, una línea; y si eres escritor y no lo has hecho te aconsejo que sigas mi ejemplo y corras a hacerlo

Traduction libre de votre humble serviteur :

Il y a trois sujets : l’amour, la mort et les mouches. Ce sentiment, cette crainte, cette présence ont accompagné l’homme depuis toujours. D’autres que moi ont traité les deux premiers thèmes. Je me concentre sur les mouches. Elles sont meilleures que les hommes, mais ne surpassent pas les femmes. Il y a plusieurs années, j’ai eu l’idée de créer une anthologie universelle de la mouche. Je la poursuis toujours. Je me suis toutefois rendu compte que c’était une entreprise sans fin. La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; et si tu es écrivain et que tu ne l’as jamais fait, je te conseille de suivre mon exemple et de  t’empresser de t’y mettre;

Il n’en fallait pas plus pour que j’aille fouiller dans ma mémoire vacillante en quête de ces mouches qui envahissent la littérature.

Il avait raison ce bougre de Monterroso. Un échantillon :

Voltaire, L’Ingénu.

Tant pis pour les critiques.

Le bonhomme avait quelques-uns de ces petits livres de critique, de ces brochures périodiques où des hommes incapables de rien produire dénigrent les productions des autres, où les Visé insultent aux Racine, et les Faydit aux Fénelon. L’Ingénu en parcourut quelques-uns. « Je les compare, disait-il, à certains moucherons qui vont déposer leurs œufs dans le derrière des plus beaux chevaux : cela ne les empêche pas de courir. » À peine les deux philosophes daignèrent-ils jeter les yeux sur ces excréments de la littérature.

Lafontaine, Le lion et le moucheron

Va-t’en, chétif Insecte, excrément de la terre.
C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.

[…]

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

Echenoz, Lac

J’avais l’embarras du choix. Le protagoniste principal, Franck Chopin, est un spécialiste des mouches : les brunes, rousses, rouges, orangées et violettes, les vitreuses et les ferrugineuses aux genoux jaunes, à l’œil vert ou bleu vif, et de ce qui est risible dans leurs mœurs. […] la mouche des éviers […] des escadrons de mouches à viande […] une petite mouche grise posée sur le boudin […] une mouche plus grosse au thorax bleu de cobalt […] des mouches qui font la sieste [..] une mouche d’ambiance.

Le mot «mouche» apparaît à 27 reprises dans Lac. Je vous mets la première sortie de l’une d’elle sur Les Champs-Élysées. Elle donne le ton à ce récit brindezingue, et à lire.

Chopin descendait les Champs-Élysées, venant de son domicile avec une petite boîte dans une poche de son imperméable, une petite cage en fil de fer tressé contenant une mouche vivante.

C’est tout pour l’instant.

En connaissez-vous des mouches littéraires?

Je n’ai pas lu Les Mouches de Sartre ni Sa majesté des mouches de William Golding.

P.-S. Il semble que les mouches aient aussi envahi le monde de la peinture. Jetez un œil à la mouche qui s’est posé sur le sein gauche de la Mona Lisa impudique de Pierre Gilou.

joconde

Une exposition sur l’art du trompe-l’œil vue à Madrid au musée Thyssen-Bornemisza, le 1er avril 2022. L’Oreille tendue appellerait ça un accouplement.

Références :

Echenoz, Jean, Lac, Les Éditions de Minuit, 1989, 192 pages.

LaFontaine, Jean de la, Le lion et le Moucheron, disponible ici

Monterroso, Augusto «Las moscas» dans Movimiento perpetuo, Editorial anagrama, Barcelone, 1990, c1972, 151 p.

Voltaire, L’ingénu, Bibliothèque numérique romande, nov. 2015. Édition numérique.

 

 

 

 

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
Ce contenu a été publié dans Calembredaine, Mouches dans la littérature, Recommandation de lecture, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.