[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici.]
nous voletons autour des fourneaux
avec la persistance des mouches à fruits
les rires les sacres les coups de torchon pleuvent
enlevez-vous de nos jambes
vous nous enfargez, snoreaudes !
petites gueuses !
on se désâme pour vous
depuis le levant
de nos vies
Ce recueil est ce que j’ai lu de plus riche et de plus beau en 2022. Une véritable écrivaine.
Il faudrait tout le citer. Des extraits :
Dans L’avant-dire, deux oxymores qui condensent l’ensemble de l’œuvre. C’est aussi un chiasme :
Il me faudrait tracer l’histoire
de mes vieilles vivantes
toutes leurs vies raboutées elles et moi raccommodées
dans un livre
d’amertumes rieuses
et de joies sombres
ce serait le livre
d’une mémoire impossible encagée
et pourtant
Elle allitère joliment ici, en f et en g :
nous battons la campagne
nous les vlimeuses les filles de fermiers les pauvresses du bout du rang nous avançons libres dans les lumières lentes farouches dans les foins foulés nos crignes sont coiffées de toques de chardons de pétards de silènes et d’herbe à dinde nous sommes les petites gueuses les garçonnes les gouailleuses pleines d’entrain
les enfants maigres de toutes les grâces refusées
Alimentaire, toute ponctuation disparue:
fouiller ouvrir les conserves les bocaux les boîtes de métal se gaver s’étouper fruitages fraises et rhubarbe groseilles et noisettes beurre d’érable compote de pommes gelée de roses pain perdu sucre à la crème cassonade sucer ses doigts lécher encore sous les semonces les remontrances cracher les croûtes lécher les miettes bâfrer les tartes se remplir la panse d’histoires bien lécher les lèvres les confitures aux commissures hautle-cœur gorge nouée relents de revenantes avaler comptines et couleuvres cacher les doigts collants salir sa jupe beurrer épais saucer la mie cracher l’aigreur des marinades le lait viré le vert-de-gris le foie de morue la nausée des langues amères les petits sermons le hareng salé les souvenirs décharnés le sang caillé
tout pour faire taire
sainte Anne de la Famine
Un zeugme :
tu m’enduisais de camphre et d’onguent malades
m’enivrais de ponces et de saignées
gavais ma gorge de becquées
fourrageais ma tête de tes doigts inquiets
tu y cherchais des lentes des tiques des puces
des idées de mauvaise fille
forcément
À lire.
J’avais aussi aimé son Expo Habitat. On peut lire mes ressouvenances exaltées ici.
Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, La Peuplade, 2022. [édition numérique]