[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici.]
Comment achever une mouche qui butine sur le cadavre refroidi de son amant.
Je l’ai vue en me réveillant. M. avait la bouche entrouverte, je ne sais pas pourquoi. Hier elle était fermée. Derrière ses lèvres sèches et noires, les taches sur ses incisives semblaient d’une blancheur irréelle. Elle se tenait là, au bord de sa bouche. Une mouche monstrueuse, noire et irisée, frottant ses pattes l’une contre l’autre. Je me suis redressée et l’ai chassée, horrifiée à l’idée qu’elle ait pu entrer, pondre je ne sais quoi. Je ne veux pas imaginer. Elle s’est envolée mais s’est immédiatement reposée sur son oreille. Je l’ai chassée encore.
Cette fois elle est allée se poser sur son bras, près de la manche de son tee-shirt. Je l’ai laissée faire, retenant ma respiration. Elle est restée là quelques secondes, indécise. Je n’avais jamais vu de mouche aussi grosse. Est-ce que dans sa communauté de mouches elle était considérée comme hors norme ? Est-ce que l’obésité ou le bodybuilding existent chez les diptères ? Est-ce que, comme nous, ils répondent à des critères sociaux étroits et arbitraires ? C’est seulement à ce moment que j’ai réalisé que l’aube était là, la nuit ne m’avait pas tuée. Mieux, la fièvre et la nausée avaient presque disparu. J’ai regardé ma cheville, violacée, toujours douloureuse, si gonflée qu’elle formait un bourrelet autour du bas de mon jean.
La mouche a fait quelques pas vers le creux du coude de M., dont la passivité avait cessé de me surprendre. Puis elle est remontée vers le tee-shirt, finalement décidée, y est entrée, impatiente. J’ai frappé, sec, fort, faisant trembler le corps de M.
J’ai soulevé la manche, elle était là, écrasée mais pas morte. Je me suis entendue rire, victorieuse, compte pas sur moi pour t’achever, connasse. »
Adeline Dieudonne, Reste, L’iconoclaste, 2023, [Édition numérique]