Le Grand remplacement. Le «concept» est devenu un lieu commun utilisé par un nombre grandissant de «penseurs» de l’avenir et du présent. On sait grosso modo que selon Renaud Camus la France est en péril non seulement face à l’immigration massive à venir des musulmans, mais d’ores et déjà par leur présence sur le territoire de la douce France. Les statistiques des sociologues ont beau prouver le contraire, Camus n’en démord pas. Il suffit de se fier à son œil.
En lisant Les Déclinistes d’Alain Roy, un souvenir a refait surface du temps où je faisais mes études en sociologie. C’était au siècle précédent. Je vous mets d’abord l’extrait tiré de son livre.
[…] d’où Camus tient-il que les statistiques des sociologues seraient fausses ? Comment peut-il affirmer une telle chose sans recourir lui-même à des statistiques qui seraient plus exactes ? Évidemment, il ne le peut pas. Mais comment faire alors pour établir qu’il y a péril en la demeure, que la France sera prochainement soumise à un « changement de peuple » ? À quel instrument de mesure se fier pour obtenir un portrait plus fidèle de la situation ? C’est la seconde surprise que nous réservent les écrits remplacistes de Camus : pour estimer la composition de la population française, l’auteur s’en remet – tenez-vous bien – à son regard. Afin de connaître la démographie de leur pays, les Français n’auraient qu’à « en croire leurs yeux » . Selon la conception naïvement empiriste que défend ici l’auteur, il suffirait donc de se fier à ses perceptions oculaires pour mesurer la composition de la population générale : « Et s’il est interdit de compter et de publier des chiffres [ce qui est faux, en passant, des dérogations sont prévues pour les études que mènent des instituts nationaux à ce sujet], il ne l’est pas encore tout à fait d’en croire ses yeux et l’expérience quotidienne, bien que tout soit fait pour nous dissuader de nous en remettre à eux, et pour nous convaincre de substituer au jugement de nos sens et de notre esprit celui des seuls autorisés de parole, experts, sociologues, intellectuels organiques du pouvoir antiracistique ». »
Qu’en est-il du souvenir évoqué plus haut? Jules Duchastel, professeur émérite au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, nous avait enseigné les bases de la méthode scientifique en recherche sociologique. De mémoire :
«On ne fait pas de sociologie, en regardant la foule circuler au coin de Sainte-Catherine et St-Laurent.».
Et il ajoutait, les faits ça n’existent pas, ce sont des «construits». Il avait beaucoup lu Durkheim et Bourdieu (moi aussi). S’il enseigne encore, j’en doute, il a 80 ans, il ajouterait sûrement aussi : le «gros bon sens» ça n’existe pas, non plus.
Bref, j’ajoute une catégorie «souvenirs» à mon babillard.
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Le livre d’Alain Roy? Excellent. Il a un peu repris le contenu de ses écrits parus à l’automne 2017 dans la revue L’inconvénient, notamment pour son analyse des œuvres de Houellebecq (Soumission), d’Onfray (Décadence), de Finkielkraut (L’identité malheureuse) et de Zemmour (Le suicide français)
En ce qui concerne notre décliniste, Mathieu Bock-Côté, il se contente de critiquer son essai Le Multiculturalisme comme religion politique. Ça date. On comprend que l’on se puisse se lasser de la prose du chroniqueur du Journal de Montréal, mais j’aurais aimé qu’il se penche sur les titres suivants : L’Empire du politiquement correct : essai sur la respectabilité politico-médiatique et La Révolution racialiste : et autres virus idéologiques. J’ai quand même fait ma part : Le totalitarisme et la manipulation des masses pour les nuls.
Pour un regard critique sur la pensée de Mathieu Bock-Côté, la lecture des essais suivants est fortement recommandée :
Alex Gagnon : Les déchirures : Essais sur le Québec contemporain.
Mark Fortier : Mélancolies identitaires.
Francis Dupuy-Déri : Panique à l’université.
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Référence :
Alain Roy, Les déclinistes : ou le délire du grand remplacement. Écosociété, 2023. [Édition numérique]