Température et incipit : Qimmik de Michel Jean [110]

aaqyuimmick

Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

NUNAVIK
Le ciel, le roc, l’océan. Sous une lumière obscène, face à l’Arctique, mer de glace. Terre nue. Pays sans arbre. Entre le ressac et le silence, le vent, le vent du nord, règne sans partage. Son souffle glacial soulève les flots, emporte dans son sillage des tourbillons de neige qui courent sur la terre comme sur l’eau. La toundra gronde.

Michel Jean amorce de nombreux chapitres de son roman avec des descriptions météorologiques.

De brèves notes de lecture suivent après une cascade de citations.

PÊCHEURS
Le sentier se faufile entre de grands arbres aux branches graciles que le vent balance avec douceur. Le soleil émerge derrière les montagnes, mais il perce à peine le couvert végétal.

LONGUE-RIVE
«Qimmik! Qimmik!»
Le vent joue dans son pelage blanc, gris et noir. Le soleil fait briller ses reflets de roux pendant qu’il file sur la plage déserte, ses grosses pattes tambourinant sur le sable humide.

DEUX MONDES
La Côte-Nord du Québec est une vaste forêt dressée face à un océan taciturne. Le vent vient de tous les côtés, mais le plus obstiné est celui qui descend du nord.

LUMIÈRE
Il était là à l’heure et au lieu dits. Avec ses chiens et son air de grand adolescent qui se moquait du vent et du froid.

PREMIÈRES NEIGES
Une fine couche de glace s’est formée le long de la berge et, en se figeant, l’eau a dessiné une série de ridules. Bientôt, tout le lac gèlera, la glace deviendra bien épaisse et solide. J’aime l’image du lac qui se transforme avec les saisons.

FRISSONS
Les collines se couvrent de givre blanc. Chaque jour est plus froid que le précédent, chaque nuit le vent siffle plus fort. Le paysage se fige, immobile comme la mort, sous son visage le plus beau et le plus hideux.

ATTENDRE
Il fait moins de trente-cinq degrés depuis deux semaines, et même les phoques retiennent leur souffle, nous n’en avons tué aucun. La pêche ne suffit pas à nourrir vingt chiens et deux humains. Nous vivons sur des réserves qu’il faut économiser, seuls au milieu d’un territoire coupé du monde par le froid polaire.

NUAGE
Un autre matin froid et silencieux. Ulaajuk dort presque jour et nuit. Il semblait aller mieux, mais hier il a paru plus faible que jamais et il est resté couché. Je me sens seule et j’ai peur. Je voudrais me coller au chaud près de lui. Me reposer. Juste dormir sur son épaule. Le vent souffle au-dessus de l’igloo, nous rappelle sa présence.

BÉLUGAS
C’est le même chemin, mais différent. Les paysages d’abord. Les falaises me semblent plus hautes, plus accidentées aussi. Comme si elles portaient les marques laissées par les griffes du vent.

DÉGEL
L’hiver, il souffle toujours du Nord. Cassant et glacial. Il balaie tout ce qui se dresse devant lui. On dirait qu’il durera éternellement.

HURLER
C’est le printemps, la glace s’est retirée.

***

Notes de lecture.

Hurler. Le titre du dernier chapitre cité. Michel Jean affectionne ce verbe. Il en abusait déjà dans Kukum (quatorze occurrences). Je l’avais illustré ici.

On retrouve aussi quatorze occurrences de ce verbe dans Qimmick. Sauf pour le vent et les chiens qui hurlent, cette fois-ci l’auteur a évité l’anthropomorphisme qui était omniprésent dans Kukum. Pour mémoire, dans ce roman, les trains hurlaient, les rafales hurlaient, les turbines à vapeur hurlaient, le vent hurlait, les chutes hurlaient.

Question importante. Trouve-t-on des mouches dans ce roman? La marque des véritables écrivains. Il ne fallait pas s’attendre à une pêche miraculeuse avec ce froid polaire. On en trouve trois au fil du récit : celles que l’on fixe à l’hameçon pour pêcher l’omble et le saumon et des mouches noires qui se sont égarées dans un dialogue.

Question subsidiaire. Les oiseaux tombent-ils du ciel dans cette histoire? Non!

Le collectionneur compulsif repart un tantinet déçu. Il s’en remettra.

J’en recommande la lecture, malgré une intrigue prévisible et parfois, la présence d’un certain poids de la métaphore : l’océan taciturne, le sentier se faufile, les griffes du vent, la lumière obscène et l’océan qui gronde.

Michel Jean, comme dans ses romans précédents, illustre avec justesse la hargne des Blancs pour civiliser les Premières Nations.

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Michel Jean, Qimmick, Libre Expression, 2023. [Édition numérique]

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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