Le gars principal dans cette histoire, il a 39 ans. Il vit chez son père. Sa mère qu’il adulait est morte alors qu’il avait 14 ans. Il n’a jamais eu de relations sexuelles. Il reste planté devant la télévision des journées entières, tellement qu’il se qualifie de spectateur en série. Un grand timide, un tantinet asocial. Au moment où le récit commence, il se trouve devant un bac de livres à un euro. Il y découvre La tentation de Saint-Antoine de Flaubert livré aux intempéries aux côtés de livres ineptes. Il rentre chez le libraire pour lui demander le pourquoi de cela. Réponse du libraire : «Vous connaissez une personne, vous, qui a lu La tentation de Saint-Antoine?». Il lui tend l’euro, prend l’opus et file chez le coiffeur. La lecture de ce livre lui servira de rempart contre l’ambiance habituelle des salons de coiffure qui l’incommode : la musique, les lumières, les jacasseries des coiffeur·es et des client·es. Il évite. Il aime passer inaperçu, meilleure façon d’être vu, à son grand déplaisir. Il ne sait pas composer avec la pratique du pourboire. Il avait d’ailleurs fait l’acquisition d’une tondeuse à peine plus chère que le tarif d’une coupe dans ses satanés endroits. Problème, il n’y coupera pas.
Caméra arrière. Mauvaise manipulation avec le sabot de sa tondeuse, il s’est ratiboisé un bon 5 centimètres de sa pelure pileuse crânienne. Il doit agir. Après avoir été éconduit d’un premier salon pour cause de manque d’assiduité, il se rabat sur un autre salon tout à fait bon chic bon genre, avec service client impeccable et une armée d’artistes pour lui rendre son élégance de tous les jours. Il y trouve Fabrice qui, avec ses doigts de fée, redonnera vie à sa tête d’éberlué. Problème. La facture pour l’ensemble de l’opération service client s’élève à 540 euros. Une somme qu’il n’a pas. Il propose un troc à Fabrice. Il viendra donner un cours, au Salon, sur Flaubert et La tentation de Saint-Antoine afin de régler la douloureuse. Fabrice accepte. Il est ravi. Un Salon capillo-littéraire, ça claquerait! Bon, le spectateur en série devra se farcir la lecture de la série des trois versions de La Tentation de Saint-Antoine, de sa correspondance et des savants écrits des nombreux exégètes de Flaubert…
Aucune mouche entre les deux couvertures. Incipit exempt de considérations météorologiques. C’est ainsi.
Oscar Lalo, Le salon, Plon, 2022. [Édition numérique]