Température et incipit : The Martian Chronicles / Chroniques martiennes de Ray Bradbury [111]

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Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

L’incipit météorologique occupe pour ainsi dire la totalité de la première nouvelle de Martian Chronicles de Ray Bradbury. En prime, pour les amateurs de figure de style, ce court récit comporte un petit côté anaphorique. Curieusement, le date présente dans le titre de la traduction est différente de celle de la version originale. Un autre mystère à élucider.

[Mise à jour du 8 mars 2024]

J’ai réussi à élucider ce mystère grâce à la généreuse collaboration de mon fils et de mon pote EddY, dit mon lecteur sensible.

J’avais consulté la traduction (1954) de Martian Chronicles par Henri Godillot dans laquelle le récit se déroule entre 1999 à 2026, soit sur une période de 27 ans, exactement comme dans la version originale anglaise de 1950.

En 1997, comme l’année 1999 approchait, les éditeurs tant anglophones que francophones ont pensé que ces dates nuiraient à l’aspect futuriste du récit. Le début des années glorieuses du marketing? Curieuse idée. Ils ont décidé de projeter le récit 31 ans plus tard, soit de 2030 à 2057. C’est cette édition française que j’avais consultée.

Il est donc recommandé de vérifier les années d’édition et les ISBN quand on fait de la lecture bilingue comparée.

Note : Pour les ISBN, il faut se méfier. Les éditeurs bâclent souvent le travail. Il est bien connu que le numéro ISBN est censé nous assurer du caractère unique d’une œuvre. Or, nous avons pu consulter deux éditions anglaises de 1997 comportant le même ISBN, mais avec des temporalités distinctes : 1999-2026 (celle de 1950) et 2030-2057 (celle de 1997). C’était, de plus, publié chez le même éditeur : HarpersCollins.

Para servir.

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January 1999ROCKET SUMMER

«One minute it was Ohio winter, with doors closed, windows locked, the panes blind with frost, icicles fringing every roof, children skiing on slopes, housewives lumbering like great black bears in their furs along the icy streets. And then a long wave of warmth crossed the small town. A flooding sea of hot air; it seemed as if someone had left a bakery door open. The heat pulsed among the cottages and bushes and children. The icicles dropped, shattering, to melt. The doors flew open. The windows flew up. The children worked off their wool clothes. The housewives shed their bear disguises. The snow dissolved and showed last summer’s ancient green lawns. Rocket summer. The words passed among the people in the open, airing houses.

Rocket summer. The warm desert air changing the frost patterns on the windows, erasing the art work. The skis and sleds suddenly useless. The snow, falling from the cold sky upon the town, turned to a hot rain before it touched the ground.

Rocket summer. People leaned from their dripping porches and watched the reddening sky. The rocket lay on the launching field, blowing out pink clouds of fire and oven heat. The rocket stood in the cold winter morning, making summer with every breath of its mighty exhausts. The rocket made climates, and summer lay for a brief moment upon the land … »

JANVIER 2030
L’été de la fusée

 « À un moment donné c’était l’hiver en Ohio, avec ses portes fermées, ses fenêtres verrouillées, ses vitres masquées de givre, ses toits frangés de stalactites, les enfants qui skiaient sur les pentes, les ménagères engoncées dans leurs fourrures qui, tels de grands ours noirs, avançaient pesamment dans les rues verglacées.
Puis une longue vague de chaleur balaya la petite ville. Un raz de marée d’air brûlant ; comme si on avait laissé ouvert un four de boulanger. La vibration de fournaise passa sur les pavillons, les buissons, les enfants. Les glaçons se détachèrent, se brisèrent, se mirent à fondre. Portes et fenêtres s’ouvrirent à la volée. Les enfants s’extirpèrent de leurs lainages. Les femmes se dépouillèrent de leurs défroques d’ours. La neige se liquéfia, révélant l’ancien vert des pelouses de l’été précédent.
L’été de la fusée. On se passa le mot dans les maisons grandes ouvertes. L’été de la fusée. La touffeur de désert modifiait les broderies du givre sur les fenêtres, effaçait l’œuvre d’art. Skis et luges devenaient soudain inutiles. La neige qui tombait du ciel froid sur la ville se transformait en pluie chaude avant de toucher le sol.
L’été de la fusée. Les gens se penchaient hors de leurs vérandas ruisselantes pour contempler le ciel rougeoyant.
Sur sa rampe de lancement, la fusée crachait des nuages de flammes roses et une chaleur d’étuve. Dressée dans cette froide matinée d’hiver, elle donnait vie à l’été à chaque souffle de ses puissantes tuyères. La fusée commandait au climat, faisant régner un court moment l’été sur le pays. »

Ray Bradbury, The Martian Chronicles, Livre de poche, Lire en anglais, Les langues modernes, [1991?]. c1950, p. 16.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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