Chercher des poux à la série Ripley et lire Le roman d’Isoline de David Turgeon.

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Andrew Scott as Tom Ripley in RIPLEY. Photo Credit: Philippe Antonello/NETFLIX.

Andrew Scott as Tom Ripley in RIPLEY. Photo Credit: Philippe Antonello/NETFLIX.

Je n’ai eu aucun problème avec le noir et blanc de la série Ripley diffusée sur Netflix. C’était même d’une esthétique, comment dire, osons un cliché, plutôt léchée. Le plaisir de revoir, Galerie Borghèse, Apollon et Daphnée du Bernin, cependant que Ripley se pâme devant une toile du Caravage.

Il y a une folie du voir dans cette série. Le grain de la peau et des pierres. Un cadrage parfait. La prestation d’Andrew Scott. Une attention, en gros plan, à la statuaire et au baroque italien. Au charme des venelles mal éclairées de Rome et de Palerme.  Il y a une forme d’érotisation des lieux. Manque juste L’extase de sainte Thérèse du Bernin que l’on peut voir, si vous passez par là, à la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome. Illustration disponible à la fin de ce billet. On se serait passé du Grand Canal et des gondoles, mais c’est un classique vénitien. Difficile d’y couper, dans le genre.

Le scénario ne tient toutefois pas la route. Je divulgâche. Vous pouvez sauter le paragraphe suivant et vous diriger plus avant. Il y sera question de Foenkinos, Schlesser et du Roman d’Isoline de David Turgeon.

1) Quand Ripley, en barque à moteur et en pleine mer, tente de se débarrasser du corps de Dickie (il l’a trucidé à grands coups d’aviron) et qu’il se prend un pied dans le câble qui maintient un bloc de ciment servant d’ancre, tombe à l’eau avec le macchabée, accroche la manette des gaz du bateau qui s’autopropulse en faisant de grands ronds dans l’eau, que Ripley tente de rejoindre la barque en folie, qu’il se prend la tasse à quelques reprises et l’ancre sur la cafetière (c’est un mauvais zeugme), et qu’il finit par remonter à bord, exténué, et réussit à éteindre les gaz pour stopper l’embarcation.  Ouf! Un moment de « suspense » qui frise l’hyperbole burlesque. 2) Les auteurs de cette série aiment bien quand ça tourne en rond. Voir la scène répétitive quand Ripley emprunte au volant de la Fiat de Miles, avec Miles mort dedans, ou sans lui, et sans chien mouillé derrière comme dans Un an de Jean Echenoz, le rond-point devant le célèbre râtelier romain (le monument à Victor-Emmanuel II.) 3). Le meurtre de Miles, la descente dans l’escalier et l’ascenseur alors que l’assassiné se vide de son sang. Autre improbable avec une logeuse qui a la réputation d’être une fouineuse. 4) L’inspecteur de police est une andouille. Il aurait pu confronter Ripley et le locateur de bateau. En invitant Marge, il aurait découvert qu’il avait devant lui Ripley et non Dickie. On aurait fait l’économie de l’écoute des épisodes suivants, mais le mythe du psychopathe imitateur Ripley se serait évaporé pendant que l’on plongeait dans le sommeil. 5) Dernier épisode, l’inspecteur se déplace à Venise pour interroger Ripley. Ce dernier a tamisé la lumière et porte la barbichette pour confondre le policier. Pas convaincant, surtout quand Ripley se lève pour lui serrer la main et lui dire bon vent. On dira que le flic souffrait de pathologies oculaires. Facile. 6) J’aimerais dire aux cinéastes et fabricants de films en série que le procédé scénaristique du «ce n’était qu’un rêve, un fantasme, un songe ou une pensée obsessive» est éculé. Ils en abusent dans Ripley.

Un four sur le plan du scénario. Cette série aurait pu être parfaite, si les scénaristes avaient fait leur boulot. Juste ça.

Je ne me souviens pas si Patricia Highsmith avait commis de pareilles bourdes dans le roman qui les a inspiré : The Talented Mr. Ripley. J’ai fait une vérification dans le bouquin. Il n’y avait rien de risible dans le passage où Ripley assassine Dickie.

On peut faire un parallèle avec le roman Les yeux de Mona de Thomas Schlesser. Il était réussi sur le plan esthétique, mais raté du point de vue du récit.

Tout ce temps que je perds à consommer des œuvres suggérées par l’Algorithme.

Il y a pire. Le dernier Foenkinos dans lequel je me suis égaré.

J’ai quand même eu un plaisir fou à lire le dernier opus de David Turgeon : Le roman d’Isoline. Roman Majuscule dédié à François Blais, sans majuscule, pas un point (sauf à la fin du roman), de fous retours à la ligne, des points d’interrogation – très peu -, de nombreuses ouvertures de parenthèses qui finissent toutes par être refermées. L’imparfait du subjonctif côtoie l’écriture inclusive. Iel est totalement assumé·e. L’histoire? Un roman dans le roman. Je ne vais pas vous la raconter. Elle est sans importance. Je recommande cet opus à toustes.

Ça ne plaira pas à EddY, mon lecteur sensible, mais je vais m’autociter. Le roman d’Isoline m’a procuré le même plaisir que Simone au travail  :

Lecteurs, lectrices, auteurs et autrices, je souhaite que vous trouviez refuge dans ce roman déjanté, tordant, tordu, irrésistible, zinzin, désembrayé, brindezingue, braque, abracadabrant, azimuté et autres épithètes, un peu convenues – vous me pardonnerez, je jubile -, du même tonneau.

Forcené, inventif, hors la marge, dingue, échappé des petites-maisons…

Références fournies sur demande.

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En prime, Apollon et Daphné, le Bernin. Source : Wikipedia.

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A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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