Bebette Bérubé. Je la croyais morte. Mais non, elle déambule toujours de bibliothèque en bibliothèque, avec sa canne, son exosquelette, son cerveau augmenté, sa loquacité et son habituelle bonne humeur. Elle m’a écrit. Elle me demande de vous faire part de sa recension du dernier roman de Pierre Roberge : Le dernier rayon sur la gauche. Je ne pouvais pas lui refuser ça.
Je me permets, avant de lui laisser le crachoir, de dire le grand plaisir que j’ai eu à lire ce roman fou braque et d’une plume alerte et satirique.
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Chèr·es lecteur·es et ami·es,
Le romancier-bibliothécaire Roberge nous raconte une histoire qui se déroule dans une bibliothèque. Des personnages colorés comme on en retrouve dans toutes les bibliothèques et chez les romanciers à la plume folichonne. Un roman farfelu, excentrique, extravagant, saugrenu et autres synonymes du même tonneau. Un polar. Avec un meurtre. Dans une bibliothèque! Faut le faire! Une sotie. Ça m’a scié les guibolles, avec fanfare et trompettes.
Comment vous raconter sans divulgâcher votre plaisir de lecteur modèle? Abordons l’opus avec certains personnages pour vous mettre l’eau à la bouche.
Il y a d’abord le directeur de la bibliothèque. C’est un benêt. Ça arrive parfois dans les meilleures bibliothèques. Le genre imbu de sa personne qui se prend pour le Grand Manitou et qui gère sa boîte selon les règles de l’art de la gestion : il planifie, dirige, désoriente et perd le contrôle, sans trop de créativité. Il a du gros bon sens. Il a un sens forcené et obséquieux du Politique. Son combat : en finir avec l’appropriation interculturelle, de genre et de classe. Il prône donc l’autocensure dans la collection de sa propre bibliothèque. C’est drôle parce que ça ne se peut pas dans la vraie vie, cette attitude. Dans les bibliothèques, on peut lire des ouvrages peu recommandables : Matzneff, Monsieur Bock-Côté et les chroniques du vendredi d’un journaliste du Journal Le Devoir. Un gourdiflot, ce patron. Que dire aussi? Il projette la mise en place de la livraison de documents aux usagers avec des drones fournis par l’armée canadienne. Il a de nombreux projets, entre autres calembredaines, offrir le prêt de souliers de bowling et de moules à gâteau. Il faut quand même reconnaître qu’il a parfois de la jarnigoine. Il refuse l’offre du commerçant Melançon – pas le professeur d’études françaises et célèbre blogueur – qui lui propose d’offrir le prêt d’aspirateur central à ses usagers.
Il y a aussi Mademoiselle Chapleau. Une usagère de la bibliothèque qui comme moi a atteint l’âge déplorable, et partant est quelque peu usagée. Tigrou et Winnie l’Ourson, des personnages bouffeurs de beignes, aides-bibliothécaires, qui sont secondaires dans cette histoire, craignent mademoiselle Chapleau comme la Covid. Et pourtant, elle est charmante. C’est une médiatrice. Elle vient à la bibliothèque avec son chariot métallique dont les petites roulettes font un petit grincement ferrugineux [c’est proustien, cette épithète, ça mes ami·es] pour y cueillir des livres, pour elle et les résidents de la RPA où elle habite, et où, règle générale, les années qu’il leur reste à vivre se comptent sur les doigts des pieds. Des personnes sans beaucoup de lendemains. Une charmante personne qui bénévole à la bibliothèque dans un programme d’aide au devoir pour jeunes adeptes de combats mortels, et en déficit d’apprentissage. Elle proteste avec véhémence contre la mise à l’index et en enfer des livres instaurée par le directeur, Olivier-Sébastien-Beaugrand-Lavigne, [OSBL pour ses détracteurs].
Il y a évidemment le narrateur, Freddy Washington, bibliothécaire et détective privée pendant ses loisirs. Ça tombe bien parce qu’il y aura meurtre à la bibliothèque. Il fera une discrète enquête. Il dispose de tout un attirail de moustaches, barniques et nez postiches pour mener son investigation en passant incognito. Il a des adjudants. Son psychanalyste qui dort littéralement les yeux ouverts pendant ses séances de thérapie et Blanchouille, sa jolie lapine blanche, à qui il raconte ses avancées et ses déboires dans ses enquêtes. Il a aussi des opposants dont certains n’apprécient guère son interprétation d’Il venait d’avoir 18 ans de Dalida dans un bar de karaoké et de brutes. Il en sortira, on peut dire, quelque peu amoché, et sa bicyclette à l’avenant.
Un bibliothécaire idéal. Il est fameux pour prendre la relève de la bibliothécaire jeunesse pour raconter Barbe bleue aux petits à l’heure du conte. Il faut voir la tronche amusée des enfants les plus délurés du groupe quand il leur raconte comment l’ogre tambouille de la soupe aux morceaux d’enfants. Un délice et un pur délire.
Il est drôlement futé avec son système d’indexation des documents mis à l’index par le directeur. Vous serez convaincu qu’il a dû casser la baraque dans son cours de maths 101 au cégep quand vous mesurerez la complexité de son œuvre.
Je vous l’ai dit. Il y aura un meurtre. La personne assassinée le méritait bien, si vous voulez l’avis féministe d’une ex-membre du Cercle de Fermières d’Anjou.
Désopilant, sur le merveilleux monde des bibliothèques.
Bebette Bérubé.
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Pierre Roberge, Le dernier rayon sur la gauche, Les Éditions de l’Apothéose, 2024, [édition numérique].
Bebette Bérubé.
Illustration de Maxence Jodoin.
Bonjour Bebette,
Grâce à une conférence à la Grande Bibliothèque, lors de l’événement L’Audace des possibles, j’ai appris que c’était bien le Cercle de Fermières et non le Cercle des Fermières (j’ai aussi été émue en regardant une photo d’une des organisatrices du mouvement Sauvons le Mont-Carmel, parce que sur la photo son visage est lumineux, beau, presque dans l’apaisement, alors qu’elle est dans un espace de lutte).
Pour vous ramener ce souvenir du Cercle: https://cfq.qc.ca/
Bonne journée!
Je vous remercie, chère Josiane, pour votre lecture et votre commentaire. Effectivement, en visitant le site web de l’organisme, on constate que le logo comporte l’acronyme suivant : Les CFP pour Les Cercles de Fermières. Je modifierai donc le texte pour : «ex-membre du Cercle de Fermières d’Anjou».
Bonne journée!
Bebette Bérubé.
ufampg