De la nostalgie à l’état pur

Spleen en Corrèze

« De la nostalgie à l’état pur. […] Une écriture blanche à la Simenon, son maître en simplicité. »
Frédéric Beigbeder, Le Figaro Magazine.

Une appréciation de Beigbeder. Louche. Je suis allé voir.

Contexte. AutocitationJe me suis passablement amusé à «déconstruire» le récit de Denis Tillinac : Spleen en Corrèze. Un tantinet conservateur. Farci des préjugés de l’époque. Les gars sont toujours accoudés au zinc d’un bistrot, les filles sont des nunuches et de simples objets à reluquer, à séduire et à baiser. Ce récit a pris de nombreuses rides. Un joyau du boys club.

Le sexisme ordinaire : les femmes

Ce qui distingue Tulle d’une vraie ville : l’absence de putes, de bars à entraîneuses et, surtout, de graffiti sur les murs des toilettes – celles des bistrots ou les publiques. [Un lecteur sensible me signale que c’est du Foglia pur jus. Selon Eureka, il y aurait 142 occurrences du mot «pute» dans ses chroniques.]

Les jeunes magistrats sont souvent des femmes. Certaines sont jolies. Au début, elles se prennent un peu au sérieux, véhiculent les idées snobs du syndicat de la magistrature, détestent les avocats parce qu’ils gagnent de l’argent.

Un accident de camion : «On dirait une femme troussée, étendue sur le dos.»

Ces journées où les murs paraissent sourire et où le soleil se faufile jusqu’à la feuille blanche, glisse sur la table, fait scintiller le stylo. Le printemps est arrivé. La mère Chagot porte une robe claire – et trop courte, de sorte que Labrousse rigole en me montrant du doigt ses grosses cuisses rouges.

Au cinéma, le soir, avec Labrousse et une fille brune, genre écolo-anar, dépenaillée et malodorante.

J’ai ajouté que les deux plus jolies filles de Tulle sont portugaises : deux sœurs, brunes, élancées, pulpeuses, qui hantent le sommeil de Labrousse.

Double avantage de l’été, pour les localiers : les Hollandaises (réputées faciles) et les accidents (souvent graves) qui se produisent sur les axes Paris-Toulouse et Lyon-Bordeaux.

Le vainqueur a embrassé une grosse miss locale en s’essuyant le front du revers de la main.

Nous sommes restés pour regarder le spectacle et cueillir éventuellement une estivante. Labrousse a trouvé une Nantaise que le mot « journaliste » suffisait à éblouir. Moi, je n’ai trouvé personne.

Je lui [Labrousse] ai dit qu’il y trouvera des étudiantes bronzées qui ne portent rien sous leur pull.

Inconvénient de la province : les filles n’y sont disposées qu’au traditionnel adultère – ce qu’elles appellent l’aventure, et qui n’en est pas une, car tout est convenu : le dîner à deux dans un restaurant de Brive, la boîte de nuit – toujours à Brive –, un minable dodo – dans mon lit, et il gémit. Ensuite, il faut ramener mademoiselle – ou madame – en traversant la ville endormie. Le dîner et les consommations ne sont pas remboursés par La Gazette.

Une mini-intelligentsia de licenciés s’agite et fascine les Madame Bovary locales. C’est d’Égletons que nous parviennent les communiqués écologistes ; d’Égletons aussi qu’a démarré, il y a quelques années, le planning familial. Le MLF y a recruté en son temps quelques épouses de médecin ou de notaire ; et je viens d’apprendre qu’un comité anti-viol s’y constitue.

Ça frise parfois la pédophilie :

    • Labrousse est peu sensible à ces nuances. Il préfère le jazz. Il a passé la soirée à courtiser une Allemande très jeune, qui campe près de Tulle.
    • Mauvais signe : j’arrive à l’âge où le désir commence à privilégier les êtres immatures.
    • Nous sommes restés pour regarder le spectacle et cueillir éventuellement une estivante. Labrousse a trouvé une Nantaise que le mot « journaliste » suffisait à éblouir. Moi, je n’ai trouvé personne.

Conservateur

Je suis conservateur, anarchiste, libéral sur les bords.

Semaine de la déportation. «Tout cela indiffère ma génération»

Pauvreté écœurante du vocabulaire (de la gauche)

Pagaille au lycée de Tulle. Grèves, palabres, potaches exclus puis réintégrés, proviseur affolé. Un gros chahut politisé, avec des relents de haschich.

La cuistrerie égalitaire.

Journalisme et militantisme s’excluent. L’ambiguïté et la dérision du spectacle social exigent un regard distant et solitaire. Derrière les verres teintés des convictions, on ne voit jamais rien.

Du MBC : J’ai conscience qu’une métamorphose gigantesque menace les fondements de l’Occident.

Comme MBC, il pourfend les «déconstructeurs» : « Nous sommes des orphelins. Barthes, Foucault, Morin, Lacan, Deleuze, Genette (etc.) sont tout juste des accoucheurs – et l’enfant se présente mal.»

ॐॐॐ

réac

Auteur prolifique que je n’avais jamais pris la peine de lire, il se présentait ici avec un court essai au titre volontairement provocateur : Du bonheur d’être réac. Trente-cinq ans après Spleen en Corrèze, la plume a gagné en précision et en mordant, mais le fond semble prisonnier des mêmes certitudes. Sous une élégance de style, on retrouve un discours qui tourne en rond et un propos, somme toute, pamphlétaire.

Au début de ma lecture, j’ai été surpris par le style alerte, sans fioritures, de Tillinac : son humour, son autodérision et sa culture, plutôt classique, donnent à son propos une saveur singulière. Il promeut une position « réac » qui se veut ni de gauche ni d’extrême droite, et se dresse contre le « charabia » râleur et moralisateur des extrêmes. Son esthétisme réactionnaire s’appuie sur « la substance des valeurs » intemporelles, évidemment.

En cours de route tout finit par se gâter. Il tombe dans les mêmes travers que ceux qu’ils dénoncent : son esthétisme est pour le moins extrême, moralisateur et… réactionnaire.

– Contre la parité homme-femme. Pas nécessaire, la femme est supérieure à l’homme. Belle entourloupette.
– Il a des doutes sur les bienfaits de la féminisation des métiers.
– Le réac ne croit pas aux bienfaits d’une « culture pour tous ». Pourquoi? On ne le saura pas.
– Il qualifie d’insipide le « brûlot », Indignez vous ! de Stéphane Hessel. Pourquoi? On ne le saura pas.
– Contre le mariage des gais.
– Il ridiculise au passage les homosexuels, les trans, les écolos, les féministes (toujours néo).
– Crainte du «grand remplacement».
À tort ou à raison, il [le réac] pense que les vieux peuples sédentaires d’Europe risquent le pire en singeant les mœurs de pays d’immigration tels que les États-Unis, le Canada ou le Brésil.
– L’idée du «vivre ensemble». De la foutaise.
– Il généralise quand il critique l’art contemporain.
– Pour le droit d’importuner les femmes. Il confond le puritanisme et le simple savoir-vivre.

Inaccessible aux faveurs de l’opinion, cette pute grégaire, capricieuse et versatile, le réac l’est tout autant au puritanisme qui croit élever la dignité de la femme en proscrivant les mots, les gestes, les sous-entendus, la signalétique de la drague. Autre avantage, et non des moindres : le réac s’autorise à définir comme telle – et draguer comme telle – une minette bien roulée, bien moulée, bien briochée. En Italie on les siffle en pleine rue. Pourquoi pas ? Beau cul, belle gueule, la version la plus avenante de la BCBG : où est le mal, si on la gratifie d’un hommage aux avenants de sa silhouette ?

ॐॐॐ

Ne me remerciez pas.

Para servir

Denis Tillinac, Spleen en Corrèze, La  Table Ronde, 1997, 160 p. (Publication originale : 1979 aux Éditions des Autres)

Denis Tillinac, Du bonheur d’être réac, Éditions des équateurs, 2014,  107 p.

 

À propos de Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
Ce contenu a été publié dans Critique, Époque pourrie, Sociologie, avec comme mot(s)-clef(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *