Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fiction.
Elmore Leonard ne peut pas toujours avoir tort.
Je me suis passablement amusé à «déconstruire» le récit de Denis Tillinac : Spleen en Corrèze. Un tantinet conservateur. Farci des préjugés de l’époque. Les gars sont toujours accoudés au zinc d’un bistrot, les filles sont des nunuches et de simples objets à reluquer, à séduire et à baiser. Ce récit a pris de nombreuses rides. Un joyau du boys club. J’y reviens dans un autre billet.
Pour l’instant, parlons météo
Tillinac a été localier, journaliste aux faits divers, dans le Journal La Gazette de Tulle, Corrèze, de l’automne 1976 à l’automne 1977. Ce canard aurait dû lui confier la rubrique météo. On retrouve quarante notations sur le temps qu’il fait dans ce récit de 160 pages.
Excessif et fleuri par certains clichés littéraires :
Incipit : Minuit. Il pleut sur la ville endormie. Parfois le bruit d’un moteur casse le silence.
Ciel bleu pâle, moutonné de blanc. Un soleil radieux embrase la ville et le vent, sur les collines, fait frémir les arbres. Décor si paisible. Si « sécurisant », dirait un psychologue ; mais de tous les bienfaits la sécurité est celui dont on se lasse le plus vite.
Il pleuvait, la route était luisante, le ciel furieux. Dans ces moments, les phares des voitures qui se rapprochent, en face, semblent adresser des clins d’œil.
Ce matin, il pleuvait ; l’agenda était vierge.
Il faisait nuit depuis longtemps et il pleuvait.
Traversé au retour les paysages haut-corréziens éclaboussés par le soleil. Luxuriance rousse de l’automne. Presque-bonheur…
Corrèze que j’aime : désolée et frileuse, fondue dans ses gris…
Premières neiges sur le plateau de Millevaches.
Il pleut, le ciel est gris. Noël, je le crains, sera sans neige. Je suis seul à l’agence, désœuvré.
L’hiver est arrivé. Dehors, il pleut et il fait froid.
La neige s’est mise à tomber sur la ville engourdie, alors que je redescendais de la maternité. Brasseries
1er janvier dans la grisaille.
Mon village, là-haut : immobile autour de son clocher, battu par le vent. Arbres presque couchés ; nuages noirs dérivant vers la Dordogne, trombes d’eau dévalant les chemins – et ce gémissement des forêts, alentour…
Il pleut, le jour décline.
Le ciel était limpide ; le soleil glissait sur les ardoises limousines, qui sont marron, alors que les toits corréziens sont gris.
Parcouru tout à l’heure, pour aller couvrir une petite manifestation, des campagnes enneigées. C’était la nuit déjà ; de gros flocons venaient s’écraser sur les phares.
Génie sauvage, insufflé par le vent qui hurle à la cime des arbres…
S’il pleut et s’il fait nuit, c’est pire encore…
Il pleut. Ciel gris, triste, crasseux. Oublier ce patelin sans âme, ou dont l’âme ne m’intéresse plus.
Soleil du matin, si radieux, acidulé, qui métamorphose Tulle en ville-jouet, ville pour enfants.
Un soleil de commencement du monde étalait une blancheur floue sur le plateau. Ciel clair ; ligne brisée et sombre des sapinières…
Retour d’Ussel en fin d’après-midi. Ciel rare ; longs nuages floconneux. Bleu très pâle, laiteux. Vert sombre des collines. Du rose à l’horizon. Tout cela léger, psalmodiant.
Il a neigé pendant quelques instants sur Tulle, vers onze heures, et notre correspondant à Ussel a téléphoné pour nous annoncer que la haute Corrèze est couverte de neige.
Temps frileux, ciel couvert de cendre froide. Dimanche désespérant de grisaille et d’ennui.
Journée de congé au village. Au couchant, j’ai longé un bois où le soleil se faufilait, comme par effraction, et faisait luire les écorces des bouleaux. Chants d’oiseaux, à étourdir. Lumière limpide, dans laquelle le village s’inscrivait avec une netteté surnaturelle.
Au retour un soleil orange saignait entre les arbres.
Une route bleue, bordée de platanes. Un soleil rouge qui danse sur l’horizon. Une voiture.
Ces journées où les murs paraissent sourire et où le soleil se faufile jusqu’à la feuille blanche, glisse sur la table, fait scintiller le stylo. Le printemps est arrivé. La mère Chagot porte une robe claire – et trop courte, de sorte que Labrousse rigole en me montrant du doigt ses grosses cuisses rouges.
Premier mai bien terne. Tulle sommeillait sous la chaleur.
Ciel magnifique – un bleu serein, tendre, souriant, caressant. Un bleu qui ressemble au bonheur. Le soleil inonde la ville.
L’embrasement du printemps qu’accompagnent les violons du concerto de Torelli. La trompette d’André Bernard impose à cette allégresse de la retenue et de l’altitude. Dehors, la ville sourit. La trompette projette son chant sur le vert des collines ; les violons posent une touche de rose sur le ciel bleu.
Le printemps rayonne. Je n’ai pas épuisé ma faculté d’aimer le jeu du soleil sur les verts et les gris des paysages corréziens.
Après-midi à la Foire-expo. Il faisait très chaud.
Double avantage de l’été, pour les localiers : les Hollandaises (réputées faciles) et les accidents (souvent graves) qui se produisent sur les axes Paris-Toulouse et Lyon-Bordeaux.
Retour d’Ussel au couchant. Ciel pâle, laiteux ; longs nuages floconneux. Vert sombre des collines. Du rose à l’horizon. Tout cela léger, psalmodiant…
14 juillet accablant d’ennui et de chaleur.
Ce matin, le soleil illuminait la campagne. Légère brume dans la vallée de la Murelle.
La pluie s’est interrompue. Tulle dort.
Lorsque je suis rentré chez moi, les quais étaient déserts. Il s’est mis à pleuvoir.
La ville dort sous la pluie. Il doit être très tard. Erik Satie berce mon insomnie…
ॐॐॐ
Spleen du lecteur.
Lecture recommandée par Pierre Foglia dans La Presse du 27 avril 1992.
Denis Tillinac, Spleen en Corrèze, La Table Ronde, 1997, 160 p. (Publication originale : 1979, aux Éditions des Autres)