Température et incipit dans L’empire familier de François Rioux (10)

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Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

Aucune idée si ce diktat du sieur Leonard s’applique aussi à la poésie. Bon, la poésie, «it’s a book».

Qu’à cela ne tienne, il vaut le détour ce recueil de François Rioux. Je triche un peu, car le temps qu’il fait (il fait chaud) apparaît dans la deuxième strophe de l’incipit :

Et puis on dégrise
on s’agrippe au matin
c’est une vie plus facile que d’autres
une vie sans surprise ou presque
la seul sorte de cancer qu’on me trouvera

j’étais mouche folle dans la foule moche
j’ai deux bouches désormais et toi aussi
on va fondre comme du beurre
dans le coeur ranci de juillet et juste avant
on va se dire ce qu’on ne dit jamais. p. 9

Les lecteurs attentifs auront aussi remarqué l’ornement littéraire folichon utilisé par l’auteur dans le premier ver de la deuxième strophe : j’étais mouche folle dans la foule moche.

J’ai une crampe à l’encéphale. Je n’arrive plus à me rappeler le nom de cette figure de style. À l’aide : Fontanier, Dupriez (Gradus), Perelmman, Olbrechts-Tyteca et L’Oreille tendue,

____

Je vous en mets un autre poème pour vous inviter à lire au complet ce recueil décapant (autre cliché).

Ça dit le Le Ciel de Rosemont, le Parc Molson et la petite misère.

Un petit côté baudelairien déjanté, en prime : Je t’adore à l’égal de voûte nocturne… Avec clin d’œil à Nelligan dans une note en bas de page(il a un joli culot, Rioux, avec ce procédé).
Parc Molson

Sous la voûte couleur de bière
et bruissantes les pelouses sont désertes
comme des églises les allées
semées de mégots de gommes grises
je suis seul et triste (9) et cliché
dans le luxe des souffrances familières (10)

(9) En fin de semaine je n’ai parlé qu’à des caissière de quêteux
je n’avais pas de change il y en un qui a dit
ça fait mal de vivre
la voix comme une fracture ouverte
un autre a demandé un petit cinq
comme quoi tout augmente
et qu’est-ce que le spasme de vivre ouais.

10) Je me rappelle cette femme à la station Champ-de-Mars
elle chantait alouette gentille alouette
pas d’instrument juste sa voix elle s’écrasait au mur
s’écrasait
c’était bien elle le kiwi la plus déplumée
et moi avec ma dette mes deux jobs
et ma blonde-pas-ma blonde qui chantait des fados
plus avancée que moi dans le jeu dans l’ennui. p. 27

Références:

François Rioux : L’empire familier, <Série QR>, no 113, Le Quartanier, 2017, 112 p.

Merci au membre de Ville-Émard du Club des irrésistibles des Bibliothèques de Montréal qui m’a mis sur la piste de ce recueil. C’est ici.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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2 réponses à Température et incipit dans L’empire familier de François Rioux (10)

  1. Luc Jodoin dit :

    Le machin à écrire proposait aussi : contrepèterie.
    httpss://fr.wikipedia.org/wiki/Contrep%C3%A8terie
    Le classique de Rabelais : « car il disoit qu’il n’y avoit qu’une antistrophe entre femme folle à la messe, et femme molle, à la fesse. »

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