Les modernités dans Peste & Choléra de Patrick Deville

Billet publié le 19 décembre 2012. Englouti en septembre 2020 dans le cyberespace et récupéré grâce aux bons soins de Wayback Machine.

Galerie-des-machines

« Les foutaises de la littérature et la peinture »,  Yersin. Ce génie inconnu qui a découvert le bacilles de la peste et de la tuberculose le temps qu’il faut pour bricoler un cerf-volant. La politique, l’histoire? Il s’en lave les mains de bactériologiste. La modernité, Baudelaire, Rimbaud, les surréalistes? Pouah! La modernité réside dans l’observation d’objets invisibles à l’œil nu. Elle s’incarne dans son microscope, ses voitures, la mathématique, l’électricité, l’observation du mouvement des marées. Les deux Grandes guerres? Il les observera, à l’écart, au bord de la mer, en Indochine. Il préfère le pays des Moïs et des Sédangs. Il se fait ethnologue. Le mariage? Une femme? Que des embarras en perspective pour un futur aventurier. Le sexe? Une simple fonction « hygiénique ». Il veut voir la mer. Il veut voir le monde. Il l’avait entraperçu, le monde, du haut de la tour Eiffel, aussi en parcourant la Galerie des machines de l’Exposition universelle de Paris en 1889.  Il est le fils de la révolution industrielle, de la modernité. Il veut le transformer le monde,  le découvrir, à pied, en bateau, en avion, en vélo, sous l’angle de la science et des plus folles inventions de la bourgeoise triomphante. Une Longue Marche. Passionnante.

Peste & Choléra de Patrick Deville, l’art consommé de la concision. Sans fioritures. Un tour du Monde en 219 pages. Une regard posé sur les modernités.

Deville, architecte ingénieur romancier, connaît trop bien la polysémie de la figure de la modernité. Il sait aussi nous la jouer mezza voce cette foutaise de la modernité industrielle. Il fallait bien évoquer aussi la modernité de Rimbaud et Céline, dynamiteurs de la poésie et du roman, d’Artaud, de Bataille, Desnos, les surréalistes. Convoquer les peintres et autres fous furieux de la découverte et de l’aventure. Dire la modernité des lendemains qui chantent et qui vont déchanter rapidement avec les Grandes guerres, la modernité de la bombe atomique, la modernité des collectionneurs d’art, Hitler et Goëring, qui entrent dans Paris. Il sait trop bien la modernité de l’abdication politique. C’est là en filigrane, cette modernité, dans tout le récit des savantes pérégrinations de Yersin qui, au final, sera touché par l’autre versant du monde, la littérature.

Un récit polyphonique où la science, l’industrie, l’aventure, la politique, l’engagement et la littérature font, somme toute, bon ménage.

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Patrick Deville, Peste & Choléra Seuil, 2012, 219 p.

Illustration : Sculpture de Louis-Ernest Barrias, L’Électricité. Elle était située à l’entrée de la Galerie des machines, Exposition universelle de 1889, Paris.

Crédits photographiques : Library of Congress.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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