[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici
Arrêtez de râler. Vous n’aurez pas sa peau. La mouche est immortelle et n’envahit pas seulement la bonne littérature :
Vu de loin, l’être humain doit parfois avoir l’air assez fou. Quand il s’obstine à vouloir compter les étoiles à prédire l’avenir, à limiter ses envies, ou à maîtriser le vent. Imaginez qu’il existe même des gens qui poussent la démence jusqu’à vouloir se débarrasser des mouches. Des individus qui démontrent une extraordinaire patience en essayant d’attraper une mouche à la main, avant qu’elle ne prenne son envol. Des gens qui inventent des insecticides, des tapettes, des chandelles odorantes, des lampes suicidaires et des papiers collants. Et qui doivent finalement prendre conscience que la mouche est immortelle. Même le président Mao, qui disposait d’une armée de 1 milliard de tueurs de mouches, n’a jamais vraiment réussi à les exterminer.
La frustration laisse des traces qui doivent s’exprimer par les mots. Voilà pourquoi notre arme courante de lutte ne s’appelle pas épée, lance ou pistolet, mais porte plutôt le nom brutal et uni-fonctionnel : le tue-mouches. p. 126
Les auteurs épuisent la presque totalité du champ sémantique de la mouche. Le sieur Monterroso (mentionné en exergue de ce billet) aurait été fier de ses valeureux écrivains :
On compte 85 000 espèces de mouches.
Dont la mouche tsé tsé, les mouches noires, les mouches à chevreuil et les mouches à feu. Les mouches à marde ne sont pas nommées.
On peut entendre une mouche voler.
Celle du réveil est parfois achalante.
La mouche du coche l’est aussi.
On peut entendre la mouche à l’ouverture du film Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone.
Elles s’acharnent aussi sur les cadavres, la viande conservée à l’air libre et les prisonniers crucifiés.
Elles sont voyeuses : ses yeux ont 4000 facettes.
Ce sont des mouchards, avec leurs antennes.
Têtues, elles n’ont de cesse de buter contre un miroir, une vitre ou un pare-brise.
Les mouches frétillent parfois dans la soupe ou dans la tasse de café.
Elles sont partout : dans l’autobus, le métro, l’avion. J’ajouterais au chalet.
C’est une médiatrice entre la pourriture et la personne.
On la soupçonne de diffuser, entre autres, le choléra, la dysenterie et la typhoïde. Ce n’est pas prouvé, elle est un bouc-émissaire.
On meurt comme des mouches, on tombe aussi comme des mouches.
On ne les attire pas avec du vinaigre, croit-on. Pourtant, il y a la mouche du vinaigre, la drosophile.
Les mouches mettaient jadis en valeur l’extrême pâleur de la beauté du visage de la femme.
Et les autres : écriture en pattes de mouche, les poids mouche (à la boxe), faire mouche, la pêche à la mouche.
Elles font même l’amour en plein vol.
Il n’y a aucune mention des mouches dans la littérature dans cet essai.
Un peu long, ce billet. Quelle mouche m’a piqué?
Lecture recommandée par Benoît Melançon (L’oreille tendue)
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Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Les mouches», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 210 p., p. 117-130. (chapitre 8)