Des années plutôt, Lucio avait assisté à Monterry à une réunion des directeurs de bibliothèques de l’État, c’est là qu’il avait appris tout ce qu’on pouvait trouver entre les pages des livres : des fleurs, des papillons, des ongles rognés, des notes, des mots d’amour, des adresses et, surtout, de la nourriture, boissons renversées, taches de graisse, sucre collé, miettes, mayonnaises et sauces, ainsi que ce qui, dans le compte-rendu de cette réunion, avait été consigné sous le terme de résidu nasal, pour lequel on avait recommandé à chaque bibliothèque l’acquisition d’une petite spatule. Enfin, on avait raconté que, bien que rarement, quelques romans érotiques étaient inséminés, chose qui, aux dires du chef des bibliothécaires, n’était pas un accident, mais de la provocation, car aucun livre ne se lit à la hauteur des gonades. Certains avaient estimé que le lecteur devrait payer le livre endommagé, d’autres avaient fait valoir que les dommages devaient être considérés comme partie intégrante de l’utilisation des livres. Malgré l’absence d’accord, la discussion s’était achevée quand un vieux bibliothécaire avait demandé comment on pouvait exiger d’une dame qu’elle ne trempe pas de larmes La fenêtre close? Lucio était resté tout le temps silencieux, il craignait les poussières et les ans, non ses lecteurs inexistants.
David Toscana, El ultimo lector, p. 64-65.
Illustration : Le dernier lecteur; gouache numérique réalisée avec Duddle Buddy sur Ipad; Luc Jodoin, bibliothécaire.