Total Local — Bebette Bérubé en rémission

Bebette Bérubé. Elle nous avait laissé, agonisante, avec son Projet Lecture. Les médecins prédisaient sa mort prochaine, printanière, mais elle reprend vie, yeux en feu, chapeaux toujours fleuris, dandinant presque avec sa cane superfétatoire tant la septuagénaire déborde d’énergie. Tout de l’air qu’elle a bien négocié avec l’éternité.

Pas question pour elle de s’éclipser au vu de la vague bleue conservatrice glauque qui fait tache d’un océan à l’autre. Elle s’est bien promis de travailler et d’assister guillerette à la fin du règne Harper. Mais pour l’heure, elle y va tout doux avec le futur qui occupe bien son présent, me confiait-elle ce matin sur Skype.

Elle vient de souscrire un abonnement annuel au streaming de Publie.Net pour narguer le temps qui va, le temps qui s’effrite.  Pour le temps, elle cite l’Énorme et Grandiose Richard Powers : «Un désordre croissant : c’est comme ça qu’on voit le temps qui passe. Non seulement manger n’est jamais gratuit ; mais en plus c’est chaque jour un peu plus cher. C’est l’unique règle certaine du cosmos. Toute autre certitude pourra un jour ou l’autre être échangée contre une autre» in Le temps où nous chantions,  p.112

Sortie de son coma, elle a repris sa veille docu et un gros doute l’étreint quant aux théories entourant l’attention et la rareté (voir l’excellent billet d’Hubert Guillaud, Quelle est la valeur de la linéarité d’un livre).  Je la cite «je n’ai probablement pas tout saisie, mais je la trouve bien culottée cette société de l’abondance à tous crins – choux, chameaux, navets, pétrole et informations à satiété – qui voit de plus en plus dans la rareté et l’attention le salut de l’humanité, du moins pour cette partie impériale de l’humanité grassouillette.  Je suis ça de près, mais à première vue, ça me semble tordu, louche, ce truc markedingue pas possible. M’est avis qu’on est encore en train de se faire complètement enfirouaper par les marchands de bonheur».

Vous dire aussi qu’elle s’est inscrit à un atelier d’écriture en ligne et qu’elle travaille à la rédaction d’un récit – un peu inspiré du dernier Olivier Le Deuff, Print brain technology qu’elle a lu sur Publie.net. Le titre de son opuscule en devenir : Total Local.

Confiante en l’avenir, elle a déjà rédigé le prière d’insérer de son récit. Elle nous l’offre ne grande première :

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2084.  Les efforts des grands moteurs de recherche pour géolocaliser les résultats de recherche ont  finalement porté fruit. Tant et si bien que toutes recherches menées par des individus (ils et elles se prénomment tous K) ne renvoient qu’à eux-mêmes, à ce qui les constituent, sans trace tangible de l’autre. Mutation complète. La rareté absolue.  Le beau rêve du partage planétaire (le web social) finira-t-il par l’atomisation complète des individus ne trouvant dans l’autre que le fantasme de son propre être : autofascination et narcissisme généralisés. La société de l’information rêvée au siècle précédent par Gore et compagne de joyeux lurons du développement économique planétaire culminera-t-elle vers une schizophrénie généralisée?  Florence Coton et sa bande de bibiothécaires gamificateurs veillent au grain pour éviter le pire…

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A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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