La dignité

M’arrache, malaises et étourdissements, de la lecture de Carlos Liscano : Le fourgon des fous, Belfond, 2006, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu.

À méditer avec les témoignages de Primo Levi,  Jorge Semprun et la poésie de Louise Dupré.

Extrait,  pour mémoire :

Le prisonnier tient le coup parce que le corps a une capacité de résistance infinie. Si son corps ne résiste pas, il meurt. Fin de la torture.

Mais d’abord bien plus fort et nécessaire que la capacité du corps à supporter la douleur, il y a quelque chose qui fait que le prisonnier tient le coup. Ce n’est pas son idéologie, ce ne sont même pas ses idées, et ce n’est pas la même chose chez tous.  Le torturé s’accroche à quelque chose qui est au-delà du rationnel, du formulable. Ce qui le soutient c’est sa dignité. Ce n’est peut-être même pas la dignité du militant politique, mais une autre, plus primitive, faite de valeurs simples, apprises, il ne sait pas quand,  peut-être à la table de la cuisine chez lui, quand il était enfant, au travail, sur les bancs de l’école. Ce n’est pas une dignité abstraite, mais une dignité très spécifique. Celle de savoir qu’un jour il devra regarder en face ses enfants, sa compagne, ses camarades, ses parents. Même pas autant de personnes, il lui suffit de vouloir, un jour, se sentir digne devant une seule personne. C’est pour ses yeux-là qu’il résiste, c’est pour ce regard futur qu’il sombre dans sa propre misère et se réincorpore, crie, ment, veut mourir pour calmer sa douleur, et veut vivre pour se rappeler un jour que même sous la torture il a maintenu la diginité qu’on lui a enseignée, se rappeler qu’il n’a jamais fait confiance à son tortionnaire, qu’il l’a haï, qu’il a senti qu’il était capable de le tuer de ses mains, de se baigner dans son sang, de le détruire jusqu’à ce ne reste même pas la pousssière de ses os. p.81-82

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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