«La chair» de Rosa Montero

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L’histoire de Soledad. Commissaire culturelle. Elle trime fort pour la préparation d’une exposition sur les écrivains maudits : Philip Dick, Maupassant, Burroughs et autres joyeux fêlés.

Mais elle a d’autres soucis qui la taraudent. Elle a atteint l’âge admirable : la soixantaine. L’âge des ratages, des ravages et de la rage au corps. Son amant, 40 ans, vient de la laisser pour se consacrer entièrement à sa femme et à un enfant à naître. Que faire ? Le rendre jaloux. Mettre la main sur un garçon plus jeune, plus beau, plus fou qui pourra l’accompagner un soir à l’opéra pour une représentation de Tristan et Iseult. Un soir où elle sait qu’elle croisera l’amant qui l’a éconduite. Facile. Il n’y a qu’à aller consulter le site AuPlaisirDesFemmes.com et faire son choix. Elle ne tardera pas à trouver un joli gigolo russe – Adam (joli pseudo, il a du culot) – qui acceptera de lui tenir le bras à l’opéra moyennant un léger supplément : 600 euros. Soirée parfaite, mission accomplie, malgré quelques ronflements du partenaire d’occasion durant la prestation, elle croise à la sortie de l’opéra le mufle – légèrement impressionné – qui l’a laissé tomber comme une vieille guenille. Mais ça ne va pas s’arrêter là. Il n’y aura pas de dernière fois… Mue par une irrésistible poussée libidinale, elle va passer la nuit avec le bel Adam d’Europe de l’Est et faire ce qui doit être fait, moyennant une facture assez salée : 1200 euros. Vous avez deviné la suite? Elle relancera le joli pur-sang sur Whatsapp pour s’assurer d’autres folles aventures et activités somptuaires. Mais qui est-il ce garçon? Que fait-il d’autre? Où va-t-il? À quoi aspire-t-il vraiment?

Un livre portant sur un sujet délicat : les affres du vieillissement et de la vie qui n’a de cesse de bouillonner en soi. Féministe. Écrit avec humour. Une petite citation plutôt truculente. Jugez par vous-même :

Une des choses les plus ridicules impliquées par l’âge est la quantité de trucs, de potions et d’appareils avec lesquels nous tentons de lutter contre la détérioration : le corps se remplit peu à peu d’infirmités et la vie de complications.

On voit ça clairement lors des voyages : quand on est jeune, on peut parcourir le monde avec juste une brosse à dents et une tenue de rechange, alors que, quand on s’enfonce dans l’âge mûr [admirable], on doit progressivement rajouter une infinité de choses dans la valise. Par exemple : des verres de contact, des liquides pour nettoyer les verres de contact, des lunettes de vue de rechange et autre paire de lunettes pour lire ;  des ampoules de sérum physiologique parce qu’on a toujours les yeux rouges ; un dentifrice spécial et collutoire contre la gingivite, plus du fil dentaire et de brossettes interdentaires, parce que les trois ou quatre implants qu’on a exigent alors des soins constants ; une crème contre le psoriasis ou contre la couperose ou contre les champignons ou contre l’eczéma ou contre n’importe quelle autre de ces calamités cutanées qui se développent toujours avec l’âge ; du shampoing spécial antipelliculaire, anti-cheveux gras, anti-cuir chevelu sec, anti-chute des cheveux ; une crème colorante parce que les cheveux blancs ont colonisé votre tête ; des ampoules contre l’alopécie ; des crèmes hydratantes, qu’on soit homme ou femme ; des crèmes nourrissantes, lissantes, raffermissantes, davantage pour ces dames ; mais aussi pour certains messieurs ; des lotions anti-taches ; une protection solaire écran total parce qu’on a déjà pris tout le soleil qu’on peut supporter en une vingtaine de vies ; des onguents anticellulite pour le corps, côté femme ; des tondeuses de poil de nez et d’oreilles, côté hommes ; des gouttières dentaires de nuit, parce que le stress fait grincer des dents ; des bandelettes nasales adhésives, gênantes et totalement inutiles, pour atténuer les ronflements ; des pilules de mélatonine, de l’Orfidal, du Valium ou tout autre médicament contre l’insomnie et l’anxiété ; avec un peu de malchance, une pommade anti-hémorroïdes pour ce qui va sans dire  et/ou des laxatifs contre la constipation tenace ; de la vitamine C pour tout ; de l’ibuprofène et du paracétamol pour la diversité interminable des troubles qui parasitent le corps ; de l’oméprazole pour les gastrites ; de l’Alka-Seltzer et encore plus d’oméprazole pour la gueule de bois, parce qu’on ne tient plus l’alcool ; des compléments au soja parce que la ménopause fait baisser les hormones ; avec un peu de malchance, les pilules du cholestérol, de la tension, de la prostate. Et ainsi de suite, en somme. De l’équipement lourd. p. 60-61

J’adore le «Par exemple» qui ouvre cette énumération non-exhaustive.

Vous partez en vacances? N’oubliez pas votre liseuse, vous pourrez ajuster la taille des caractères…

Référence :

Rosa Montero : La chair, Éditions Métailié, Paris, 2017, 191 p.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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