François Charron est finaliste au Grand Prix du livre de Montréal 2018 pour son recueil de poésie : L’herbe pousse et les dieux meurent vite.
Une des clefs pour pénétrer dans cet excellent recueil réside dans son titre : la tension entre la trivialité au sens fort [1] (l’herbe qui pousse) et le paradoxe (les dieux meurent vite).
Extraits :
Le paradoxe :
Cet entêtement du temps à être toujours là.
[…]
Des souvenirs qui épousent mon ombre débarquent du futur.
[…]
On s’approche pour jeter une poignée de terre sur mon cercueil.
[…]
Je parle trop fort. Ce ne sont pas mes mots.
[…]
Nous sommes beaucoup plus réels
qu’on ne l’imagine.
[…]
Il est vrai que nos yeux nous ont rendus aveugles.
[…]
Je me bats avec ma tête pour essayer de l’ôter.
[…]
Aujourd’hui c’est hier.
[…]
Cet enfant c’est mon père.
[…]
Le poète est une sombre bougie
qui illumine le rien
dans une infinité de corps allongés.
La trivialité :
Un canard avale une abeille.
[…]
Je regarde le profil grossier de l’homme.
[…]
Une feuille ne tombe jamais droit.
[…]
La poignée de porte reste collée dans ma main.
[…]
Le policier déboutonne son uniforme.
[…]
Le chauffeur fait un bruit de moteur avec sa bouche.
[…]
J’allume une ampoule en plein après-midi.
[…]
Mon caleçon reste coincé dans une jambe de pantalon.
[…]
Les briseurs de grève descendent de l’autobus.
Le paradoxe et la trivialité dans l’un des poèmes :
Le soleil n’a pas encore atteint l’entrée du
garage.L’incinération aura lieu demain.
Cet entêtement du temps à être toujours
là.
p. 30 de la version numérique.
[1] «La trivialité au sens fort». Un paradoxe? Pas nécessairement, en littérature. Tout dépend des mots utilisés, de leur agencement, de l’euphonie et de la liberté du créateur.
Référence :
François Charron : L’herbe pousse et les dieux meurent vite, Les Herbes rouges, 160 p. (édition numérique)