Lors de son passage à La soirée est (encore) jeune, Denise Bombardier a déploré que son livre, Une enfance à l’eau bénite, «roman» publié en 1985, ait eu une mauvaise réception au Québec, alors qu’il avait été encensé en France, notamment par François Nourissier et Jean-François Revel.
Retournons en avril 1985, grâce aux bons soins de BAnQ, pour lire ce qu’en pensaient de bons critiques littéraires : François Hébert, Réginald Martel et l’ineffable Pierre Foglia.
Ces critiques ne croyaient pas que madame Bombardier se soit «emputassée» en publiant en France aux éditions du Seuil. Ils évaluaient le contenu de l’œuvre.
La critique de François Hébert est mi-figue, mi-raisin.
Pierre Foglia est tel qu’en lui-même : baveux et truculent. Il nous encourage à acquérir ce roman « amusant ». Il y va de diverses considérations sur l’instruction, la richesse et le talent.
Réginald Martel émet une critique sévère. La grâce de l’éreintement.
Extraits :
François Hébert. À cette époque où l’hostie saignait… Le Devoir, 20 avril 1985.
Bon, laissons là les généralités et parlons du « roman » de Denise Bombardier, Une enfance à l’eau bénite, pour dire d’abord que ce n’est sûrement pas un roman. L’étiquette sera utile en France; d’ailleurs la narratrice paraît souvent s’adresser à un étranger plutôt qu’à nous : le Québec, dit-elle, « cette sorte d’Espagne nord-américaine » (p. 14) et « Maurice Richard, l’idole inégalée de notre sport national » (p. 145). Mais au Québec chacun connaît l’auteur, qui n’a pas besoin de la caution « roman » pour raconter sa vie. Remarquez que je ne sais pas s’il s’agit vraiment de la vie de l’auteur, que je ne connais pas personnellement; mais on sent, en lisant le livre, que la fiction entre pour peu dans l’ensemble (à cet égard, La Détresse et l’Enchantement de Gabrielle Roy est mille fois plus romanesque, qui se donne néanmoins pour une autobiographie et non un roman… ).
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J’ai été agréablement surpris. L’auteur est habile, qui sait nous raconter son Denise Bombardier: un réquisitoire qui aurait été plus propice dans les années 60.
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Le livre est écrit de façon alerte; tantôt grave, tantôt truculent, il se lit vite et bien. Il touche parce qu’il vient du cœur d’une enfant toujours étonnée par ce qui l’entoure, timide un jour, audacieuse le lendemain, jamais sûre d’elle, inquiète et ouverte, en quête de son propre destin.
Pierre Foglia, Lectures parallèles, La Presse, 23 avril 1985
Tout le charme du roman de Mme Bombardier est là : il offre deux lectures parallèles. L’une scolaire, linéaire, et sans aucun intérêt. L’autre lecture, au corpus défendant de l’auteure, voyeuse, vicieuse, spectaculaire, pleine de bibites qui partent dans toutes les directions…
Je vous encourage à acheter ce livre amusant, ne serait-ce que pour encourager l’auteur à en écrire d’autres. Le risque est évidemment de la conforter dans sa croyance que bien parler c’est avoir de l’instruction, et avoir de l’instruction c’est devenir riche…
Mais au fond, ce n’est pas si faux. On a effectivement bien plus de chance de devenir riche avec de l’instruction qu’avec du talent.
Réginald Martel : Un cloaque dans le bénitier, La Presse, 20 avril 1985.
On voudrait croire que le livre de Mme Denise Bombardier est un roman, puisque l’éditeur a étalé le mot sur la couverture. On voudrait, mais rien à faire; car il manque bien des choses à ce récit trop linéaire, surtout cette inscription d’une distance critique qui réaliserait peut-être la synthèse optimale du réel et de la fiction. Les lecteurs de France seront peut-être les victimes, heureuses je le leur souhaite, de l’illusion romanesque, tant les événements racontés leur paraîtront excessifs; ceux d’ici, certainement pas.
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Les qualités d’écriture, qui peuvent sauver bien des livres, sont ici totalement absentes. Ce n’est pas littéraire, point, car écrit, dirait-on, sans passion, comme une gageure, comme un pensum. Jamais la phrase ne s’envole, ne cherche à dire finement la nuance d’un sentiment, la transparence d’un regard, encore moins le doute de l’écrivain, qui est un état pourtant bien humain. Non, les mots s’ajoutent les uns aux autres, sans harmonie, sans style, et le lecteur doit subir des expressions fautives, des mots dont le choix trop approximatif n’a pas été corrigé; bref, l’art n’est pas au rendez-vous et on en vient à remarquer davantage la petite bête noire qu’un texte mieux inspiré effacerait tout de suite, par exemple ce mont Royal, seule butte de la ville et qui mériterait pour cela même qu’on écrivît son nom correctement, mais que Mme Bombardier appelle « Mont-Royal »; ou ailleurs, cette affirmation qui «s’avérait fausse »; et ailleurs, encore, et encore…
«Denise, elle ne déçoit jamais», Jean-Philippe Wauthier, La Soirée est (encore) jeune, 11 novembre 2018.
Accessoirement, pour votre édification, Mathieu Bock-Côté a signé une critique dithyrambique des Mémoires de Denise Bombardier (Une vie sans peur et sans regret) dans Le Journal de Montréal : Le chef d’oeuvre de Madame B.
Louche. Un doute m’étreint. J’attendrai d’autres avis.
Merci à L’Oreille tendue qui m’a aiguillé vers la critique d’Éric Chevillard du roman, L’Anglais, de Denise Bombardier. Vous la trouverez dans l’édition du 17 mai 2012 du journal Le Monde.
Je ne vous mets que des extraits, car si vous êtes abonné.e.s au Journal Le Monde vous pourrez lire la chronique complète ici.
Pour les autres, dans un souci d’alphabétisation numérique, je vous invite à vous rabattre sur Eureka, disponible pour les abonné.e.s, dans la section numérique du site des Bibliothèques de Montréal. C’est par là. Disponible aussi à BAnQ.
Je vous avertis. Ça fesse.
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Le feuilleton : dans le précipice
d’Éric Chevillard
Peut-être est-il bon de s’infliger parfois la lecture d’un mauvais livre. Par pénitence, pour se punir, pour se mortifier. Méritons-nous vraiment de ne fréquenter que des chefs-d’oeuvre, comme si le meilleur nous était dû, comme si notre infaillible noblesse nous dispensait de composer jamais avec la médiocrité ? Et si cette macération expiatoire sent un peu trop le couvent, alors ne pourrait-on aventurer que la lecture de mauvais livres est encore une fine stratégie de la jouissance tendue vers son acmé : le terme de la souffrance ? Ainsi nous apprécions mieux le sol ferme sous nos pieds après la pénible traversée du marais. Et notre appréhension des chefs-d’oeuvre auxquels nous retournerons ensuite sera plus nette puisque nous aurons parcouru la distance qui les sépare du magma élémentaire des mots inorganisés. Pour ces raisons, il me paraît donc sain de conserver un peu de curiosité pour les mauvais livres.
Il y a pourtant des limites à celle-ci comme à toute chose, et il faut avouer qu’avec L’Anglais, le nouveau roman de Denise Bombardier, nous sommes servis très au-delà de notre appétit. Le Québec ne produit pas que du sirop d’érable, des automnes flamboyants, des orignaux et des chanteuses affligées d’une inflammation pathologique des poumons. C’est une magnifique terre d’écrivains. Réjean Ducharme y vit caché, mais son oeuvre est un sommet aussi imposant que le mont d’Iberville (1 652 mètres). Et nous attendons en tremblant d’impatience et en rongeant nos doigts le prochain livre de Gaétan Soucy (comme il tarde !). Je pourrais citer d’autres noms, je le devrais – lejeune dramaturge Olivier Kemeid, par exemple, dont l’avenir nous reparlera -, ne serait-ce que pour repousser lemoment d’introduire Denise Bombardier, personnalité très en vue de la Belle Province, malheureusement moins discrète et plus prolifique que les auteurs de L’Avalée des avalés (Gallimard, 1966) et de La Petite Fille qui aimait trop les allumettes (Boréal, 1999). C’est une loi bien désolante : ceux que l’on aimerait voir triompher préfèrent raser les murs où les fâcheux épanouis s’affichent complaisamment.
L’Anglais nous est vendu comme un roman, mais ne nous laissons pas berner : c’est du vécu. Du vécu à la petite semaine, du vécu heure par heure, du vécu non cuvé : tout le morceau dans son jus.
[..]
La littérature, il faut la comprendre, a choisi de ne pas s’en mêler. Par pudeur sans doute, la narratrice ne nous livre que ses initiales : D. B. Le lecteur se perd en conjectures (David Bowie ? Dino Buzzati ? Daniel Barenboïm ?). A en croire la quatrième de couverture, nous allons lire « un véritable conte de fées moderne qui prouve que le grand amour n’a pas d’âge ! » Et, en effet, la vulgarité du slogan rend assez bien compte de la chose.
[…]
On atermoie, on tergiverse, on se retrouve. On progresse ! Les amies de l’auteur sont invitées à évaluer le soupirant « sur une échelle de un à dix » et leurs retours sont élogieux. « Je me sens homme avec toi », déclare Philip, qui se décoince. Les corps enfin se rencontrent dans un « silence habité de draps froissés et de soupirs contenus » puis, plus profondément encore, tels deux calamars lascifs, dans des « abysses de plaisir » . C’est est trop : « Les mots, notre passion commune, nous faisaient défaut. Pour la première fois de ma vie, je vivais l’amour en silence. » Et sans doute eût-il été sage de persévérer dans ce non-dit et de laisser s’épanouir cet amour dans le secret des coeurs : il y avait là certainement un beau livre à ne pas écrire.
Références :
La critique complète de François Hébert est ici.
Celle de Pierre Foglia est par là
Celle de Réginald Martel est par ici.
Éric Chevillard, Le feuilleton : dans le précipice, Le Monde, 17 mai 2012, mis à jour le 18 mai 2012.
Denise Bombardier, Une enfance à l’eau bénite, Points, Seuil, 1990, c1985, 222 p.
Denise Bombardier, L’anglais (édition numérique), Laffont, 2012, 186 p.
Source :
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