
Le dernier roman de Jean-Paul Dubois. Un cru honnête. Ceux qui comme moi ont lu ses romans précédents l’apprécieront. Sa lecture exige toutefois un amour inconditionnel de l’auteur. Si vous n’êtes pas prêts à lui pardonner l’utilisation de la parlure franchouillarde d’un personnage pur jus québécois, je vous conseille de passer votre tour.
Les aficionados des romans de Dubois souriront en relisant «ce qui revient toujours» dans ses textes. Les figures récurrentes : la hantise des arracheurs de dents, une tondeuse à gazon, les accidents de voiture et maritimes, un sympathique pitou, une morsure, un bricoleur, des amours contrariés, des personnes dépressives et névrosées, le personnage d’Anna, de même que celui de Paul, personnages principaux de nombreux de ses récits.
La composition d’ensemble. Récit alterné de la vie de Paul. Il est emprisonné dans un «condo» à la prison de Bordeaux, avec comme colocataire un Hells qui a un bagout franchouillard. L’autre volet, l’histoire des tribulations de sa famille franco-danoise. Petite tension dramatique pour nous maintenir agrippés au livre. Mais qu’a donc bien pu faire Paul pour se retrouver en prison?
Des personnages hauts en couleur. Horton, un Hells, qui a un «un pet au casque» et que j’ai fini par trouver plutôt marrant et sympathique, malgré l’extravagance de sa parlure. J’y reviens. Le père de Paul, danois, pasteur méthodiste, qui décide un jour de débarquer au Québec à Thedford Mines pour prêcher la bonne parole alors qu’il a perdu la foi. Son épouse, athée, férue de cinéma, elle exploite une salle, Le Spargo, dans laquelle elle projette des films de toutes sortes : Zabriskie Point, Théorème, Blow up, des Tarkovski… et un peu de porno, genre Gorge profonde. Il faut que ça roule cette boîte. Leblond, l’organiste du prêtre méthodiste qui pousse des airs de jazz, de blues et de swing pendant les offices religieux. Une Algonquine, son imaginaire, pilote d’un avion-taxi Beaver, épouse de Paul. Une savante petite chienne.
La langue
On connaît l’affaire Lambert, la «réécriture» de son roman Querelle de Roberval afin qu’il soit lisible pour les Français. Fort heureusement, il a convaincu son éditeur de maintenir à l’identique ses dialogues.
Dans le roman de Jean-Paul Dubois, ça prenait une bonne dose d’incrédulité pour avaler, sans parfois s’étouffer, les propos de Horton dans une histoire qui se déroule en grande partie au Québec.
Chipotons. Deux poids, deux mesures?
Malgré tout, j’en recommande la lecture pour son côté truculent mêlé de tragique.
Je vous préviens toutefois. Préparez-vous à vivre dangereusement des moments d’apnée littéraire.
P.-S. Dans une entrevue dans la Presse + ce matin, il avoue que l’emploi de l’argot parisien était en effet ridicule : Je ne savais pas quoi faire autrement. C’est une erreur, j’ai été lâche. En France, ça passe très bien, mais pour vous j’avais conscience dès le début que ce serait ridicule. Et ce l’est. Vous avez entièrement raison. C’est une erreur, mais je ne sais pas comment faire autrement sans être moi-même ridicule, comme les Français qui singent l’accent québécois. Je ne me sentais pas capable de faire quelque chose qui ne soit pas parfait dans l’argot québécois.
Hum! Je ne suis pas écrivain, mais les Français ne doivent pas tous habiter sur le Plateau. Il doit bien y en avoir qui sont débarqués au Québec de longue date, qui ont conservé leur argot, qui se sont convertis à la religion des Hells Angels et qui ont un «condo» à la prison de Bordeaux. Capilotractée, mon entourloupette?
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Vocabulaire et expressions employées par Horton :
Putain, je parle, et à chaque fois je déborde.
Calcif.
Je l’avais payée une blinde cette putain de céramique [une couronne dentaire].
La dernière fois ce con s’est pointé chez le juge avec des pompes à glands et des socquettes de cheerleader.
Je vais le dégager ce mec, je le sens pas. Non ce qu’il me faut à moi, c’est une brutasse, un avocat genre mafieux qui rien qu’en rentrant dans la pièce foute le doute au juge.
Non, mais comment y se la joue le mec. C’est chaud, putain, c’est vraiment chaud.
T’as vu ce qui s’est passé hier à New York et aussi dans d’autres villes dans le monde? 3000 types ont enlevé leur falzar en même temps, tu le crois ça? C’était paraît-il la fête du « No Pants Day ». […] T’imagines un gardien qui se pointe au condo en string et qui te gueule : « Hansen au parloir! Ou alors le juge au tribunal, qui te colle vingt piges en caleçons».
« S’ils lui collent tout ça les toubibs, c’est qu’ils savent qu’il a un pet au casque ».
Il a une tête à clouer les pattes des chats.
Il est d’où ton père déjà? Du Danemark? Putain ça peut pas mieux tomber. Tu sais contre qui ils ont joué leur premier match officiel, Les Danois, en 1949? Et tu as une idée du score? 49 grains à 0. [match de hockey]
La crosse [pour le bâton de hockey : on se croirait dans une traduction française d’un roman de Philip Roth].
La semaine dernière on a tous chopé la fouiste, toute la taule d’un coup, à se vider du matin au soir les uns devant les autres et à croquer de l’Immodium par poignées.
Je vais en démouler un vite fait [il va faire caca, devant son colocataire].
Voir aussi :
Température et incipit : Tous les hommes n’habitent pas le même monde de Jean-Paul Dubois.
Confier son avenir politique à trois points-virgules.
Mise à jour du 20 octobre 2019:
Pour compléter le tableau, des zeugmes que j’avais refilés à L’Oreille tendue :
«L’Excelsior était à l’image de sa piscine. C’était un immeuble fragile, fantasque aussi, joueur, primesautier. Été comme hiver, il fallait toujours garder un œil sur lui. Sinon, profitant de la moindre inattention, il risquait de me fausser compagnie. Charge à moi de le ramener ensuite à la raison et à la maison. Il en allait alors de L’Excelsior comme du dentifrice, prompt à gicler hors de son tube, moins fervent pour y retourner.»
«Dans cette église vide, quand LeBlond s’asseyait à sa table de travail, quand ses doigts convoquaient tous les diables du jazz, du blues et du swing, la vieille barque se soulevait soudain, les cieux viraient au bleu, le bonheur s’engouffrait dans les nefs et les tympans, Jésus rentrait dans sa tombe, et Gerard, le prélat de Sherbrooke, régnait en unique maître au plus haut des cieux.»
«Le 24 avril de cette année-là, en fin de matinée, victime du mauvais goût de la mode, mais aussi de son âge et surtout du réajustement brutal du prix du pétrole, la dernière DS sortit des usines Citroën du quai de Javel.»
«J’aime la géographie des voyages, celle que l’on traverse à pied, à hauteur d’homme, instruit par les déclivités, la fatigue des jambes et le caprice des cieux. Beaucoup moins celle des livres enluminés de graphes et de data. Mon séjour au campus se résuma donc en une suite de va-et-vient désinvoltes, de contrôles de méconnaissances, de séances de polycopiés entrecoupées d’interminables journées de cinéma qui, le soir venu, me rendaient aux miens illuminé mais fourbu.»
«J’ignore tout de l’homme qui, à ma suite, a repris cette charge et accepté de vivre dans les viscères de cette résidence. Ni à quoi ressemblent aujourd’hui les entrailles de L’Excelsior. Je sais seulement que ce petit monde imaginatif de soixante-huit unités, capable de produire une infinie combinaison de pannes, de soucis et d’énigmes à résoudre, me manque énormément.»
Référence :
Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Éditions de l’Olivier, 2019. (édition numérique)