Température et incipit : L’aventure d’un lecteur par Italo Calvino [81]

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Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.

La route côtière passait au-dessus du cap ; la mer était là, sous l’à pic des rochers, et partout alentour, jusqu’à l’horizon, haut et indécis. Le soleil aussi était partout, ciel et mer semblaient deux lentilles qui l’agrandissaient. Contre la dentelure irrégulière des récifs, battait une eau paisible, sans écume. Amedeo Oliva descendit une rampe aux gradins fort raides, sa bicyclette sur l’épaule ; il laissa le vélo dans un coin bien à l’ombre, après avoir fait jouer l’antivol. Il se remit à dévaler le petit escalier, parmi les éboulis de terre jaune et poudreuse et les agaves suspendus dans le vide, cherchant déjà des yeux le pli de rocher où, tout à l’heure, il s’allongerait à l’aise. Sous son bras, il tenait enroulée une serviette-éponge avec, au milieu, son caleçon de bain et un livre. p.49

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Une nouvelle truculente ayant pour thèmes la lecture, la séduction et l’acte sexuel. Rien n’empêche toutefois que ces trois activités soient menées peu ou prou en même temps. Tout est dans l’art de ne pas égarer le signet.

En prime, sur le style :

L’avis de Calvino en ce qui concerne l’écriture ou le discours :

Si toute l’expérience la plus récente me porte à aller vers un discours… qui incarne la multiplicité du monde dans lequel nous vivons, je continue à croire qu’il n’y a pas de solution valable esthétiquement, moralement, historiquement, qui ne passe par la fondation d’un style (Quatrième de couverture : Le défi au labyrinthe, 1963)

Dominique Fortier pense sensiblement la même chose :

Lisant la biographie de Marie-Antoinette par Stefan Zweig, j’ai l’impression de mettre le doigt sur une chose que je devinais obscurément depuis longtemps sans la nommer : le sujet d’un livre m’indiffère absolument. Qu’il y ait ou non une intrigue, c’est du pareil au même; je ne demande pas aux personnages d’être sympathiques, intéressants ou même crédibles, et je me fiche de la psychologie, comme de ce qu’on appelle l’«histoire». La seule chose qui m’importe, c’est l’écriture, le style, peut-être plus exactement, la voix. Pire (ou mieux, va savoir), je recherche depuis quelques années des livres où rien d’autre n’existe, qui réussissent à montrer ce qui se passe quand il ne se passe rien; des livres qui, dépouillés de leurs décors, de leurs costumes et de leurs artifices, nous révèlent enfin les deux choses qu’eux seuls peuvent nous faire voir : le temps immobile, et la langue, ou le langage, en mouvement, mystérieusement liés.

Italo Calvino, «L’aventure d’un lecteur» (nouvelle). Dans Aventures, Paris, Éditions du Seuil, 1964 pour la traduction française, c1958, 202 p.

Dominique Fortier et Rafaële Germain, Pour mémoire : petits miracles et cailloux blancsAlto, 2019, 171 p. (lu dans l’édition numérique)

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A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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