Je sors tout juste de d’Herta Müller. Récit troublant où les êtres sont comme des choses, usées, manipulées, jetées, des objets qui finissent par devenir la pensée et la poésie purulentes du monde.
Et je replonge pour faire bonne mesure putrescente dans «La route» de McCarthy.
Lectures sombres pour des jours de vacances gais.
«La route». On connaît la trame, un père et son petit traversent le Pays en direction du Sud afin d’échapper au froid, à la faim, à l’homme cannibale et à «L’accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d’être. L’absolue désolation hydropique et froidement temporelle».
Un monde absenté de lui-même, sans couleur, cendré.
«Quand il fit assez clair pour se servir des jumelles il inspecta la vallée au-dessous. Les contours de toutes choses s’estompant dans la pénombre. La cendre molle tournoyant autour du macadam en tourbillons incontrôlés. Il examinait attentivement ce qu’il pouvait voir. Les tronçons de route là-bas entre les arbres morts. Cherchant n’importe quoi qui eût une couleur. N’importe quel mouvement.»
Un monde aveugle, silencieux :
«Le noir dans lequel il réveillait ces nuits-là était aveugle et impénétrable. Un noir à se crever le tympan à force d’écouter.
Un monde où les choses ont déserté, un monde s’enfonçant dans l’oubli :
« Le monde se contractant autour d’un noyau brut d’entités sécables. Le nom des choses suivant lentement ces choses dans l’oubli. Les couleurs. Le nom des oiseaux. Les choses à manger. Finalement le nom des choses que l’on croyait être vraies. Plus fragiles qu’il ne l’aurait pensé. Combien avait déjà disparu? L’idiome sacré coupé de ses référents et par conséquent de sa réalité. Se repliant comme une chose qui tente de préserver la chaleur. Pour disparaître à jamais le moment venu».
Un monde intemporel :
«Les jours se traînaient sans date ni calendrier»
«Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n’ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu’ils existaient».
Un monde de solitude :
«Il n’y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes»
La route est un récit puissant, mythique, métaphysique. Le récit est jonché de phrases nominales qui sont jetées telles des incantations comme pour conjurer la mort, la déliquescence, la déréliction, la putrescence et sans doute pour lancer de vains signaux à l’espoir, ce qu’il en reste, sur la route, devant :
«Ils parlaient à peine. Il toussait sans cesse et le petit le regardait cracher du sang. Marcher le dos voûté. Sale, en haillons, sans espoir. Il s’arrêtait et s’appuyait contre le caddie et le petit continuait puis s’arrêtait et se retournait et l’homme levait les yeux en pleurant et le voyait debout sur la route qui regardait du fond d’on ne sait quel inconcevable avenir, étincelant dans ce désert comme un tabernacle».
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/ Cormac McCarthy ; traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch.
Cette recommandation de lecture paraîtra sur le site du Club des irrésistibles le 13 juillet 2012.