Billet publié le 20 mai 2013
J’aime les livres d’Echenoz. Relecture ce printemps de 14 et des biographies romancées qu’il a consacrées à Ravel, Tesla et Zatopek.
Echenoz se plaît à décrire les corps « monstrueux », empêtrés, hors du commun. Tesla le géant, Ravel le nain et Zatopek l’infatigable robot aux mouvements dégingandés
Zatopek, 4 titres olympiques et 18 records du monde. Jeux olympiques d’Helsinki : médaille d’or au 5000 mètres, 10 000 mètres et au marathon. Rien qu’en s’entraînant, Émile aura couru l’équivalent de trois fois le tour de la Terre. Excusez du peu, car au début, dans sa caserne, Il a horreur du sport, mais il va révolutionner la course de fond, inventer le sprint. Son destin est plus grand que lui, c’est là que le texte d’Echenoz marque le coup, déploie toute sa force. L’histoire d’un corps, un corps presque détaché de toute volition, voyez ce corps disloqué, ces jambes qui mordent littéralement la piste, mais il gagne :
Émile, on dirait qu’il creuse ou qu’il se creuse comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d’élégance, Émile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir (…) Poings fermés, roulant chaotiquement le torse, Émile fait aussi n’importe quoi de ses bras. (…) Il donne en course l’apparence d’un boxeur en train de lutter contre son ombre et tout son corps semble être ainsi une mécanique détraquée, disloquée, douloureuse, sauf l’harmonie de ses jambes qui mordent et mâchent la piste avec voracité.
Observez ce corps flamboyant se disloquer. Jeux olympiques de Melbourne, Émile, en fin de carrière, s’attaque une dernière fois au marathon. Il terminera sixième :
La mécanique cède d’abord dans les détails, un genou qui lâche un peu à gauche, une épine nerveuses dans l’épaule, l’amorce d’une crampe au jarret droit, puis rapidement les douleurs et les pannes se croisent, se connectent en réseau jusqu’à ce soit tout son corps qui se désorganise. (…) Il est reparti n’étant plus qu’un pantin désarticulé, foulée cassée, corps disloqué, regard éperdu, comme abandonné par son système nerveux.
Voir aussi ce corps brimé par l’état totalitaire, l’appui d’Émile au Printemps de Prague, qui n’était pas d’érable, et sa fin heureuse… comme archiviste.
Qui a dit que littérature et sport ne faisaient pas bon ménage?
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Jean Echenoz, , Éditions de Minuit, 2008, 141 p.