Ressouvenances

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Marie-Hélène Voyer est titulaire d’un doctorat en études littéraires et enseignante au Cégep de Rimouski.

Elle était en lice pour le prix de poésie de Radio-Canada 2018 pour son poème : Mouron des champs.

Elle est aussi en lice pour le volet poésie du prix des libraires 2019 pour son recueil Expo habitat.

Plus jeune, elle a vécu dans une ferme laitière au Bic. Grand bien nous fasse. Aucune autrice – aucun auteur – n’a su, en ce triste siècle, si bien poétiser la ruralité avec tant de justesse, de verve et d’humour.

Comment dire la joie que m’a procurée la lecture de ce recueil? De nombreux souvenirs ont surgi : aller aux roches (on disait : aller érocher), un farmeur proche «noyé» dans un silo de maïs-grain, les boucheries et le hurlement des porcs qu’on égorge, la chasse aux rats musqués, la pêche aux carpes et aux anguilles dans la Yamaska, le foin, la ripe, l’odeur pestilentielle des poules entassées dans les poulaillers, celle produite par l’épandage du purin au printemps, la cueillette des fraises, des framboises et des groseilles, le piochage de la betterave à sucre, les camions de petits pois (on ne se gênait pas pour se servir), les champs de maïs à l’infini (bel endroit pour lire La revanche de l’Ombre jaune d’Henri Vernes, fumer sa première cigarette et s’initier à toutes sortes de choses innommables), le pénible ramassage de l’eau d’érable, la picouille qui brette à tirer son tonneau dans les sentiers escarpés et enneigés, les immenses crêpes (on disait : des matelas) mangées à la cabane à sucre familiale. Les oreilles de crisse, les grands-pères dans le sirop d’érable, les pets de sœur…

L’œuvre en question. Je vous en mets des extraits.

Ils s’épivardaient :

Viens on va se garrocher
dans le foin
dans la paille
dans l’ensilage
dans la ripe
dans la moulée
dans l’engrais
dans la gravelle
dans la chaux
dans le vide
juste pour voir

Elle rêvassait :

Tu as douze ans et autant de cabanes […]

Elle se posait en vain un tas de questions existentielles :

Tu veux savoir
comment ça marche la vie la mort l’amour
pis toute la patente
mais ils n’en parlent jamais dans La terre de chez nous

Elle s’ennuyait parfois :

Les jours de pluie
on apprend par cœur
l’ennui et les blagues
du Reader’s Digest

Ils étaient fiers, et savaient bien le dire :

— Au village, tout le monde nous traite de farmeurs.
— Bondance ! Mautadite bonjour d’affaire ! Maudite Sainte-Face de bon yeu de Sorel ! Laisse-les dire. Laisse-les faire. Laisse-les braire ! C’est des fend-le-vent des farauds des vlimeux des bavasseux des caswell des flancs mous des branleux des bretteux des galeux des yeules molles des yeules sûres des chigneux des chiqueux d’guenille des baveux des morveux des senteux des rniffleux des focailleux des sans dessein des nu-bas des queues d’veaux des sottiseux des faces blêmes des faces de carême. Tu leu’ diras que t’es la fille à Belzébuth aux dents claires !

Elle dit bien la ville aussi : routes, autoroutes, boulevards et autres voyagements.

Allez voir!

Référence :

Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p. (l’édition numérique en PDF comporte 176 p.)

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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