Une anaphore et des yeux de mouches dans des scénarios catastrophes [44]

Morin_catastrophes


Un recueil de poésie d’une indéniable excellence, et qui reste fermement ancré au ras du corps et des pâquerettes. N’espérez pas y débusquer des métaphores audacieuses, des amplifications flamboyantes ou des personnifications inspirées.

Un chiasme, un oxymore, une allégorie ? Laissez tomber, pure perte de temps.

Une anaphore, peut-être ? Oui, pour mieux marquer la matérialité brute du monde.

Durant des jours,
quand je vais courir,
quand je vais aux toilettes,
quand je chante une berceuse,
quand je me douche,
quand je me masturbe,
ou désherbe, ou cuisine, ou
commande un croissant,
quand je cherche un mot
dans le dictionnaire,
quand je dois obligatoirement
me concentrer sur autre chose,
ça continue de parler,
la voix ne cesse pas,
poursuit son soliloque,
parfois même quand je lis,
elle se superpose
à la voix de la lecture,
et il arrive quand j’écris
qu’elle prenne le contrôle.

φφφφφ

La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici.

Adolescente, j’avais besoin
de musique pour m’endormir.
Je possédais une de ces petites chaînes
stéréo des années quatre-vingt-dix
qui évoquait le devant d’une voiture sport,
une boombox, au design
assez hideux, portable,
manufacturée par Panasonic
(modèle rx-ds18),
équipée d’un lecteur cd
et d’un lecteur cassette
superposés, flanqués de haut-parleurs
semblables à des yeux
de mouche. Je n’allais nulle part, ne faisais rien
sans cet appareil. Même pas prendre ma douche.
Avant de m’endormir, j’y insérais
une cassette ou un cd,
je tournais le bouton de volume au maximum
et j’enfonçais le bouton play.
J’ignore comment
mes parents ont pu tolérer ça.

Morin, Alexie, Scénarios catastrophes. Poèmes, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 195, 2024, 157 p. [édition numérique]

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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