Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fiction.
La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici.
Il est fort ce Lemaitre. Son incipit mêle des images qui m’ont ravi : des mouches qui bourdonnent, des feuilles de marronniers frémissantes sous la brise (la météo), un vilain chien, pas mouillé, et une oreille tendue, prête à capter le moindre son. Il ne manquait plus qu’une chaise pour le FLC, et c’était la perfection, le renversement, le coup de circuit.
Colette observa la ferme un long moment, comme si un danger la guettait qu’elle ne discernait pas. Le danger était devant, elle le savait mais elle jeta tout de même un regard inquiet de l’autre côté, tendit l’oreille. La campagne bourdonnait de mouches, les feuilles des marronniers frémissaient par vagues. Le plus bruyant, c’était son cœur qui cognait à tout rompre, le sang lui battait les tempes. Elle tressaillit soudain. Le chien avait dû la sentir parce qu’il se mit à aboyer furieusement. Un sale molosse, large comme un veau, aux dents brillantes, qui se sauvait facilement, attaquait sans raison, des gens s’étaient fait mordre. Depuis que les gendarmes étaient venus, Macagne le tenait attaché dans la journée, il n’y avait que lui à pouvoir l’approcher.
En prime, une variation sur le sourire.
Le plus discret d’entre eux était Gilbert Cardinaud, petit homme insignifiant, fluet et poupin qui couvrait son crâne lisse d’une unique mèche de cheveux épars, être étrange qui parlait peu mais offrait en permanence des sourires très fins, très décoratifs. C’était son langage, il avait des sourires pour toutes les occasions, pour saluer, pour remercier, pour approuver, pour refuser, moyennant quoi on n’entendait quasiment jamais le son de sa voix. Pour le moment il assistait au relâchement des membres de la délégation avec le petit sourire bonasse et inoffensif qu’il destinait aux enfants qui s’amusent, aux amoureux qui s’embrassent et aux pauvres qui remercient.
Vais-je oser sortir du cadre ? Oui. C’était, le 2 février 2025, dans Les notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion. Une autre série de variations sur un geste aussi simple que celui de manger ou de croûter.
Dans ma vie, j’ai déjà mangé, déjeuné, dîné, soupé, comme toute le monde, je me suis sustenté, nourri, alimenté voire empiffré, j’ai déjà becté, croûté, jaffé sans oublier de grailler, il m’est arrivé de picorer et de grignoter, plus souvent je m’en suis mis plein la boîte à ragoût, plein la lampe ou plein le cornet au risque de me faire péter la sous-ventrière, j’ai déjà fait bombance ou ripaille, j’ai déjà gueuletonné, festoyé et réveillonné mais mais mais, et ce à mon grand dam, je n’ai jamais banqueté. Le banquet joue pour moi le rôle du nombril des femmes d’agents de police dans la chanson de Brassens. Autant dire que j’ai bondi à une belle hauteur quand j’ai reçu l’invitation à participer aujourd’hui à un banquet qui se tient au Wepler, place Clichy, à Paris (Seine).
P.-S.-1 À des fins purement statistiques, il convient de signaler que le mot « mouche » apparaît à 3 reprises et le mot « chaise » 26 fois dans le roman de Pierre Lemaitre.
P.-S.-2 À des fins purement esthétiques, et pour une autre variation, sur le nombril, cette fois-ci, on peut écouter Le nombril des femmes d’agents de Brassens évoqué par Philippe Didion dans sa notule.
Didion, Phillipe, Les notules dominicales de culture domestique, 2 février 2025
Lemaitre, Pierre, Un avenir radieux, Paris, Calman-Levy, 2025, 593 pages. [édition numérique]