L’image de l’Abricot qui fait mouche : «La colline qui travaille» de Philippe Manevy [48]

la colline qui travaille
La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici

À force de lassitude, de maussaderie, une étrange expression s’était imprimée sur les traits de ma grand-mère. Le bas de son visage était traversé par un sillon profond, indélébile, qui partait presque de ses mâchoires et remontait vers la commissure des lèvres, qu’il tirait vers le bas : elle affichait en permanence un sourire à l’envers qui la faisait ressembler à Jean Gabin dans les films de sa vieillesse, ceux dans lesquels il joue les patriarches revenus de tout.
Très ponctuellement, cette expression était remplacée par une joie rapide, lorsqu’elle repérait chez l’autre un défaut dont elle pouvait se moquer. Alors que ses désirs s’étaient émoussés, elle avait conservé de sa jeunesse son sens de l’observation. Elle avait eu, elle avait encore le génie de la caricature, l’art d’inventer des sobriquets – ainsi cette voisine, surnommée L’Abricot, à cause de sa silhouette ronde, de son éternel pardessus orange et de son caniche presque de la même forme et de la même teinte qu’elle. L’image faisait mouche, et ma grand-mère esquissait ce qui, chez elle, se rapprochait le plus d’un sourire : une grimace.

Le roman de Philippe Manevy, écrivain franco-québécois, tisse avec brio l’histoire de sa famille. Bien que les sagas familiales ne m’attirent pas particulièrement en général, celle-ci a été une agréable surprise : je l’ai adorée. L’histoire du temps qui passe et qui gruge tout sur son passage. J’ai été fasciné par ses grands-parents, des personnages romanesques, excessifs, drôles et touchants.

Plus jeune, alors qu’il était à l’université, un professeur et écrivain avait traité Philippe Manevy avec mépris et condescendance lorsque ce dernier lui avait confié son désir d’écrire un roman sur sa famille. Je peux vous assurer que cet enseignant, qui se voulait sans doute pédagogue, était à côté de la plaque. Philippe Manevy est devenu un véritable écrivain.

C’est une recommandation de lecture.

Ne me remerciez pas.

Para servir.

Philippe Manevy, La colline qui travaille, Leméac, 2024, 228 p.

 

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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