Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fictions.
Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait là-bas : la saison pourrie.
C’est Louana qui l’aperçut la première, et plus tard, lorsque le Conseil se réunit pour statuer sur le cas de l’étranger, elle intervint pour revendiquer ce premier regard. Elle avait ce visage d’enfant mongole, hilare, écarlate, qui n’était pas du pays ; elle avait ces intonations étranges qui faisaient qu’on l’écoutait toujours avec stupeur.
– C’est moi qui l’ai vu la première ! devait-elle crier ce jour-là au Conseil. Et elle avait ajouté en éclatant de rire : A travers le cul de ma mère !
Avec sa cousine Cherline, la pâle, la malingre Cherline, aux bras si blancs qu’ils attiraient les pinçons, Louana avait suivi la Brigde, sa mère, là-bas, vers les replats de San-Creps, tout en bordure de la faille rocheuse. Il avait plu la semaine entière, à verse, comme toutes les semaines précédentes depuis bientôt seize mois
L’avis de Philippe Didion dans ses Notules dominicales de culture domestique du 12 juillet 2020 :
“Au Moulin d’Andé, Avril 1965.” Ainsi se termine le livre de Maurice Pons. On n’écrivait pas des choses banales, au Moulin d’Andé dans les années 60. Perec – invité à découvrir les lieux par Maurice Pons – y concocta La Disparition et Pons – qui y finit ses jours en 2016 – Les Saisons. Rien que pour ces deux livres, le moulin mériterait d’être classé monument historique. Car Les Saisons est un livre extraordinaire, unique, stupéfiant. Un voyageur, Siméon, arrive dans un village perdu où règne un climat singulier : des dizaines de mois de pluie ininterrompue, suivis d’une saison aussi longue de “gel bleu” puis d’une saison de neige. Les habitants, frustes, méchants, incultes, y survivent en mangeant des lentilles, rien que des lentilles. Siméon cherche à remplir la tâche qu’il s’est assignée en venant dans cet endroit, écrire un livre, mais les efforts qu’il doit faire pour simplement survivre et l’hostilité des habitants ne lui permettent pas d’accomplir sa mission. On ne peut que résumer ainsi ce livre, qui échappe, pour moi tout au moins, à toute analyse. Toujours est-il qu’on n’a jamais rien lu de tel depuis le Valcrétin de Régis Messac, seul livre qui peut approcher Les Saisons par sa vision noire et désespérante de l’humanité.
Maurice Pons, Les saisons, Christian Bourgeois éditeur, coll. «10-18», 214. p