Les mouches (et l’odeur des chiens) dans la littérature : «Un an» de Jean Echenoz [18]

IMG_5606 (1)

[La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici.]

De retour de Madrid dans un Boeing 737 bringuebalant. Que faire pour chasser les craintes? Lire, bien sûr. Relire un véritable écrivain : Echenoz. J’ai ses œuvres complètes dans ma liseuse en cas d’urgence ou d’ennui.  Je choisis Un an. J’y trouve des mouches qui ne m’avaient pas piqué lors de la précédente lecture de ce roman.

Son itinéraire ne présenterait ainsi guère de cohérence, s’apparentant plutôt au trajet brisé d’une mouche enclose dans une chambre.

Mal éclairé mais déjà surchauffé, ce débit : le radiateur à gaz installé près du bar était poussé à fond, des toiles cirées rayées couvraient les tables, des rideaux raides pendaient aux fenêtres, une incomplète collection de bouteilles patientait derrière le bar au-dessus de six cartes postales jamais postées bien loin, punaisées puis conchiées par les mouches derrière un petit rang de trophées.

Je me rappelais cependant que ce véritable écrivain s’était vraiment surpassé avec ses variations autour de l’odeur, présente ou pas, du chien dans les voitures dans lesquelles montent Victoire lors de sa fugue sur le pouce. Je les remets.

Il y eut un prêtre au volant d’une R5 sans options, sans radio ni rien, réduite à sa fonction locomotrice : les sièges étaient raides et flottait une puissante odeur de chien bien qu’il n’y eût pas de chien.

Régnaient de suffocantes odeurs d’essence et de chien, mais cette fois avec un chien, calmement installé près de Victoire et qui lui adressait des regards polis et navrés comme pour se désolidariser, solliciter son indulgence rapport à la mauvaise tenue de ses maîtres.

Dans la 605 flottait une odeur de grésil et de cendre mais pas de chien bien qu’il y en eût un, couché sur un plaid à l’arrière.

Je note que David Turgeon avait eu une délicate pensée pour la race canine qui pue dans son roman L’inexistence :

le pelage lourd et puant d’un vieux chien mouillé qui traîne et qui claudique sur le terreau puant et poisseux d’une forêt interminablement étouffée par la brume froide et visqueuse…

Bon dimanche!

Jean Echenoz, Un an, Éditions de Minuit, 1997. Édition numérique.

David Turgeon, L’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p. Édition numérique.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
Ce contenu a été publié dans Mouches dans la littérature, Recommandation de lecture, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *