Les mouches dans «La classe de madame Valérie» de François Blais [36]

Francois Blais - Valérie

La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici

Aucun doute, François Blais était un véritable écrivain. Pas tuables, les mouches.

Il fit son lit, s’habilla et s’apprêta à descendre déjeuner quand un bourdonnement en provenance de sa fenêtre attira son attention. Une mouche à cette époque de l’année ! Étrange. Il regarda pendant quelques secondes l’insecte buter furieusement contre la vitre, puis il tourna la manivelle et souleva la moustiquaire de quelques centimètres. La mouche ne tarda pas à trouver l’issue. Elle aurait mieux fait de demeurer à l’intérieur, au chaud, songea Charles. Dehors, le froid ne tarderait pas à l’engourdir, et elle deviendrait alors une proie facile pour les oiseaux, les grenouilles, ou n’importe quelle créature ayant coutume de se repaître de mouches. Mais bon, elle avait fait son choix. De toute façon, les mouches ne meurent pas vraiment. On dit d’une personne inoffensive qu’elle ne ferait pas de mal à une mouche, mais cette expression est stupide puisqu’il est impossible de faire du mal à une mouche. Étant absolument dépourvue de tout caractère individuel, n’ayant aucune pensée en propre, chaque mouche est toutes les mouches à la fois, et pour réellement tuer une mouche, il faudrait tuer toutes les mouches. N’ayant rien à perdre, pas de Moi dont on puisse les priver en les écrasant, elles sont invincibles. Il paraît que leur cerveau et leur système nerveux est trop rudimentaire pour qu’elles puissent même souffrir. Une mouche, tu lui arraches les ailes, elle n’en fait pas un fromage, elle se contente d’attendre la mort, sagement. Et si, attendant la mort, elle voit une autre mouche passer, elle dit : «  Tu vois cette mouche là-haut : eh bien, c’est moi. »

Via L’oreille tendue.

François Blais, La classe de madame Valérie, L’Instant même, 2013, édition numérique.

A propos Luc Jodoin

Effleure la surface des choses. Intérêt pour la littérature, la langue, les arts visuels, la sociologie et les enjeux sociaux. Tendance woke. Préfère Madrid à Barcelone.
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