La mouche envahit toute la littérature. Où que vous posiez l’œil, vous y trouverez la mouche. Les véritables écrivains, quand ils en ont eu l’opportunité, lui ont consacré un poème, une page, un paragraphe, une ligne; Augusto Monterroso, Les mouches. Pour le contexte, voir ici
René Fallet fait mouche avec la recette de soupe aux choux de le Glaude dans son roman La soupe aux choux. Un véritable écrivain.
Je vous la mets.
Citadins, n’hésitez pas d’ajouter une grosse gousse d’ail et du lardon dans votre soupette.
Bonne tambouille!
De tout temps, le Glaude avait vu sa grand-mère, sa mère, sa femme, préparer la soupe aux choux. Il en savait quasiment de naissance la recette, l’exécutait sans avoir même à y penser. Il lava le chou cabus, lui enleva ses côtes, lui coupa le cœur en quatre, fit blanchir le tout pendant cinq minutes, laps de temps qu’il mit à profit pour balayer sa maisonnée. Si la Denrée devait revenir, il convenait de le recevoir avec les honneurs dus à un pilote de soucoupe de son envergure et qu’il ne trouvât rien à redire, par exemple, à la propreté du carrelage. On avait beau n’être capable que de conduire une bicyclette, on n’en avait pas moins sa petite fierté.
D’un geste auguste, il expédia à la volée les balayures au-dehors. Les poules y dénichaient toujours quelques miettes. Il revint à son fricfiti, déposa le chou dans un faitout, y joignit quatre pommes de terre épluchées, un oignon, deux carottes, les couvrit largement d’eau bouillante. Il ajouta un peu de sel, une branche de thym, trois grains de poivre, et, parce que cela tuait le ver et qu’il n’y a pas plus dangereux que le ver sur la terre à part le coup de froid, une gousse d’ail. Ceux de la ville, qui sont tous bureaucrates et se parlent sous le nez, n’en auraient pas mis, d’ail. Mais ceux de la ville, à cause de tous leurs chichis, n’avaient pas de santé, tombaient comme des mouches dans leurs rues et leurs boulevards. Le Glaude préférait sentir l’ail que d’empester le cholestérol, l’artériosclérose et autres maladies perfides qui courent les métros et les autobus.
Il couvrit le faitout d’un couvercle, l’abandonna sur sa fidèle cuisinière de fonte noire. Après trois quarts d’heure de cuisson à feu moyen, il retirerait sa soupe, non sans l’avoir goûtée. Il ne s’occuperait des lardons qu’au dernier moment, lorsque la Denrée serait là, assis sur cette chaise. p. 125-126
À des fins purement lexicostatistiques, veuille noter que l’on retrouve 12 occurrences du mot mouche dans ce roman. De la grande classe.
Un roman truculent. On ne pouvait pas en dire autant de son adaptation cinématographique, avec Louis de Funès.
René Fallet, La soupe aux choux, Folio, Denoël, 1980, 281 p.