Never open a book with weather. Elmore Leonard, Ten rules for writing fiction.
Aux premières lueurs de l’aube, le 8 août 1850, Herman Melville prend une table dans le petit salon de sa maison des Berkshires et, sous les yeux stupéfaits de son épouse, va l’installer dans l’écurie, à côté du cheval (sans doute également ébahi). Il rentre dans la maison, ramasse une chaise, du papier, des plumes et de l’encre. Puis il s’assied à sa table dans la moiteur de l’été et le parfum de la paille, et pendant quatre jours il écrit un long texte qui commence par trois mensonges et renferme plus de vérité qu’il n’en a jamais dit dans ses livres ou dans sa vie, avec l’impression de la jouer là, sa vie, en équilibre sur la pointe de sa plume, menaçant – déjà – de basculer.
La moiteur de l’été. Laconique sur le temps qu’il fait, mais la suite a capté mon attention.
Il est certains livres dont l’incipit est si frappant qu’il se grave à jamais dans l’esprit, où il en vient quasiment à remplacer l’œuvre, comme si celle-ci était tout entière contenue dans cette première phrase à la façon dont la pomme est contenue dans le pépin.
Elle fait référence à l’incipit de Moby Dick de Melville. Un incipit météo, par ailleurs, avec le crachin d’un humide novembre. [penser à l’insérer dans ma collection]
Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet.
Peut-être le plus célèbre de tous, écrit-elle.
L’agent cognitif artificiel que j’ai interrogé pour évaluer ses connaissances n’est pas du même avis ou peut-être n’a-t-il jamais lu Moby Dick. Voici ses choix. Convenus. Je ne retiens que les livres que j’ai lus.
Classiques de la littérature française
- Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Albert Camus, L’Étranger. - Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. - Ça a débuté comme ça.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit. - Il lui semblait que l’air vibrait autrement quand il était là. [!?!]
Marguerite Duras, L’Amant.
Raté. L’incipit de L’Amant est le suivant :
- Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi.
Il faut se méfier des robots intelligents.
Classiques de la littérature mondiale
- Toutes les familles heureuses se ressemblent ; chaque famille malheureuse l’est à sa façon.
Léon Tolstoï, Anna Karénine. - Quelque part dans la Mancha, dont je ne veux pas me souvenir du nom, vivait il n’y a pas si longtemps un gentilhomme…
Miguel de Cervantès, Don Quichotte.
Il a loupé le suivant, l’un des plus célèbres :
- Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace.
Gabriel Garcia-Marquez, Cent ans de solitude.
φφφ
Existe-t-il, dans ma collection, des incipit météo si frappant qu’ils [se sont gravés] à jamais dans [mon] esprit ? Évidemment. Dans un désordre cognitif, les plus brefs :
- Pereira prétend avoir fait sa connaissance par un jour d’été. Une magnifique journée d’été, ensoleillée, venteuse, et Lisbonne qui étincelait.
Antonio Tabucchi, Pereira prétend. - Il était tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village.
Franz Kafka, Le château. - Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal.
Diderot, Le neveu de Rameau. - Il était midi. À cause du froid, le soleil semblait plus petit. Les vitres et les glaces ne renvoyaient pas ses rayons.
Emmanuel Bove, Armand. - L’été passa en entier. Mme Rolland, contre son habitude, ne quitta pas sa maison de la rue du Parloir. Il fit très beau et très chaud.
Anne Hébert, Kamouraska. - Bientôt l’hiver craquera après avoir beaucoup pleuré
Des restes de miroir lécheront les anses du lac
Mireille Cliche, Le coeur-accordéon. - Tout baigne dans la chaleur; et cela dure depuis le début de l’été.
Hubert Aquin, Neige noire. - Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet. - Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté.
Cormac McCarthy, La route. - C’était une journée d’avril froide et claire.
George Orwell, 1984.
P.-S. Météo.
Croyez-moi, les tempêtes que nous voyons aujourd’hui, qu’elles soient dans le ciel ou dans le monde, sont le résultat de mauvaises décisions – très mauvaises décisions – prises par des gens incompétents. Donald Trump. [avec la collaboration de l’IA]
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Les références seront fournies sur demande.